Guerre de Quatre-Vingts Ans
Pour les articles homonymes, voir Guerre de religion.
La distribution de hareng et de pain blanc après la levée du siège de Leyde, le 3 octobre 1574 par Otto van Veen.
Date | 1568-1648 |
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Lieu | Europe : Pays-Bas, Belgique, Gibraltar Amérique : Cuba Asie : Philippines |
Issue | Union d'Utrecht Union d'Arras Traités de Westphalie Traité de Münster |
Provinces-Unies | Monarchie espagnole |
Guerre de Quatre-Vingts Ans
Batailles
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La guerre de Quatre-Vingts Ans, également appelée révolte des Pays-Bas et parfois désignée en tant que révolte des Gueux, est le soulèvement armé mené de 1568 (bataille de Heiligerlee) à 1648 (traités de Westphalie) — sauf pendant la Trêve de douze ans de 1609 à 1621 — contre la monarchie espagnole par les provinces s'étendant aujourd'hui sur les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et le nord de la France. Au terme de ce soulèvement, les sept provinces septentrionales gagnent leur indépendance sous le nom de Provinces-Unies, indépendance effective en 1581 par l'Acte de La Haye et reconnue par l’Espagne par un traité signé en 1648 en marge des traités de Westphalie.
Sommaire
1 Les origines
2 Premiers affrontements (1555-1572)
2.1 Prémices du soulèvement des Pays-Bas (1555-1568)
2.2 L’opposition des nobles
2.3 Furie iconoclaste et révolte des Gueux (1566)
2.4 Guillaume d'Orange
3 Reprise des hostilités (1572-1585)
3.1 La pacification de Gand
3.2 L'Union de Bruxelles
3.3 L’Union d’Arras et la Ligue d’Utrecht
3.4 Le décret de déchéance
3.5 La chute d'Anvers
4 Sécession des provinces du Nord (1585-1609)
5 La Trêve de Douze Ans (1609-1621)
6 Derniers épisodes (1621-1648)
6.1 Reprise des hostilités
6.2 Opérations outre-mer
6.3 Vers la paix
6.4 Épilogue : les Traités de Westphalie
7 Conséquences
7.1 La révolution militaire
7.2 Conséquences pour les Pays-Bas
7.3 Conséquences pour la couronne d’Espagne
7.4 Conséquences sur la conscience politique européenne
8 Notes et références
9 Voir aussi
9.1 Bibliographie
9.2 Articles connexes
9.3 Lien externe
Les origines |
Les Dix-Sept Provinces sont réunies en une unité géographique et politique par la Pragmatique Sanction de 1549, édictée par Charles Quint. Peuplées d'environ 2 millions d'habitants[1], ces provinces sont économiquement prospères : les plaines du bord de mer ont de bons rendements et l'activité portuaire est importante[2], le sud bénéficie de l'activité forestière et l'est de l'exportation de la tourbe[3]. Les villes sont développées, et notamment Anvers qui, avec ses près de 90 000 habitants bénéficie du commerce avec le Nouveau Monde[4]. Cependant, la situation économique reste fragile, victime de nombreuses périodes de disettes et d'une imposition qui s'alourdit de plus en plus à partir des années 1530[5].
La onzième guerre d'Italie entre la France et le Saint-Empire est financée par les Dix-Sept Provinces sans apport espagnol, alors que cette guerre ne concerne que peu les Pays-Bas, ce qui mécontente les états généraux[6].
Philippe II est le fils et sera le successeur de Charles Quint. Contrairement à son père, il est étranger aux Dix-Sept Provinces, ayant suivi une éducation espagnole, et lors de sa première visite en 1549 il laisse une impression déplorable[7].
Le protestantisme arrive dans les Pays-Bas espagnols à la fin des années 1520 et au début des années 1530[5]. Les guerres de Religion en Europe vont opposer le catholicisme à cette nouvelle doctrine, et seront un des enjeux majeurs de la guerre.
Au cours du règne de Charles Quint, les Pays-Bas voient disparaître quelques-unes de leurs libertés économiques. L'arrivée puis l'essor du protestantisme dans les Provinces provoquent l'intervention de l'Inquisition. Puis la violence et les abus des émissaires de la Couronne d'Espagne créent des tensions, non seulement avec les protestants persécutés, mais aussi avec les catholiques. De nombreuses armées espagnoles doivent occuper la région des décennies durant, suite aux conflits opposant les rois d'Espagne à l'Angleterre et la France.
Premiers affrontements (1555-1572) |
Prémices du soulèvement des Pays-Bas (1555-1568) |
En 1555, Charles Quint abdique en faveur de son fils Philippe II d'Espagne[8]. Malgré une politique ferme, le premier a tout au long de son règne été sensible aux évolutions sociales et religieuses des Pays-Bas. Il a passé toute sa jeunesse aux Pays-Bas et parle couramment néerlandais, français, espagnol, et un peu d'allemand[9]. Philippe, en revanche, a grandi en Espagne et ne parle ni le néerlandais, ni le français : sous son règne, l'augmentation de la pression fiscale, les progrès du calvinisme et la politique de centralisation menée par le nouveau roi espagnol constituent de nombreuses causes de frictions avec les Hollandais. Devant l'intransigeance du roi, ces tensions finissent par dégénérer en guerre d'indépendance.
L’opposition des nobles |
En vue d'établir une administration stable et loyale à la couronne dans les Pays-Bas, Philippe invite plusieurs représentants de la haute noblesse néerlandaise à participer aux États généraux des Pays-Bas, l'assemblée qui gouverne les dix-sept provinces du Nord. Il nomme le cardinal de Granvelle président du Conseil d'État des provinces, qui comprend notamment trois personnalités : Lamoral, comte d'Egmont, Philippe de Montmorency, comte de Hornes et Guillaume d'Orange-Nassau, le Taciturne. En outre, il confie la charge de gouverneur des Pays-Bas à sa demi-sœur, Marguerite de Parme, née à Audenarde et qui parle la langue locale[8]. Pourtant, dès 1558, le parlement commence à s'opposer aux exigences de Philippe II, notamment en refusant de voter de nouveaux impôts et en exigeant le repli de la soldatesque espagnole. Des protestations ultérieures visent notamment la politique du ministre Granvelle. Philippe II part pour l'Espagne en août 1559, et, au moment de s'embarquer, furieux de l'opposition des nobles, aurait saisi Guillaume d'Orange par le poignet et lui aurait dit « No los estados, mas vos, vos, vos » (pas les États, mais vous, vous, vous), ce « vos » étant considéré comme insultant[10],[11].
À la fin de l'année 1559, l'armée espagnole dans les Dix-Sept Provinces s'élève alors à environ 3 000 hommes. Elle y avait été envoyée en 1552 pour combattre lors de la onzième guerre d'Italie. Elle n'est pas payée, et vit de pillages de la population[12]. Les états-généraux demandent à Philippe II leur renvoi en Espagne, qui accepte après plusieurs mois à condition que les États votent un impôt destiné à payer des troupes locales en remplacement. Après de longues discussions, les états généraux acceptent, mais Philippe II change d'avis, et décide de maintenir ses troupes dans les Pays-Bas, officiellement en prévision d'une guerre, officieusement en raison de la montée du protestantisme, notamment à Anvers[13]. Orange et Egmont menacent alors de démissionner pour que le roi d'Espagne rappelle ses troupes, qui repartiront finalement en janvier 1561[14].
Les diocèses des Dix-Sept Provinces, hérités du haut Moyen Âge et quasiment inchangés depuis, ne correspondaient plus du tout aux réalités géographiques et aux besoins administratifs[15]. L'Érection des nouveaux diocèses aux Pays-Bas espagnols, réclamée depuis des décennies, est finalement approuvée par la bulle Super Universas du 12 mai 1559[16]. Elle rencontre cependant des résistances, car elle a été décidée en dehors des Pays-Bas sans la consultation des organisation religieuses : évêques, pères abbés ; et temporelles : conseil d'État, ordre de la Toison d'or ; qui sont cependant concernées. Par ailleurs, la réforme réserve l'accès aux clercs à nombre de fonctions, ce qui suscite la résistance de la noblesse, habituée à fournir les hautes fonctions sans besoin de formation religieuse[17]. Le reste de la population s'inquiète de la montée d'un absolutisme religieux, et du renforcement de l'inquisition, officiellement introduite depuis 1524[18].
Comme les pétitions de la noblesse au roi restent sans réponse, quelques-uns des plus éminents seigneurs, dont le comte d'Egmont, le Comte de Hornes et Guillaume d'Orange, démissionnent des États généraux des Pays-Bas jusqu'à ce que finalement Philippe II rappelle Granvelle en Espagne[8]. À la fin de 1564, les nobles, conscients des progrès de la foi réformée, exhortent Philippe II à assouplir sa politique confessionnelle pour éviter les émeutes. Philippe leur répond qu'il répliquera à la violence par la violence. C'est pourquoi Lamoral d'Egmont, Philippe de Hornes et Guillaume d'Orange démissionnent une seconde fois des États généraux des Pays-Bas, tandis que le marquis de Berghes et le comte de Meghem démissionnent du stathouderat[8]. Pendant ce temps, en dépit d'une oppression accrue, les manifestations des protestants se multiplient à travers le pays. En 1566, une délégation d'environ 400 membres de la noblesse présentent une pétition à Marguerite de Parme, à l'effet qu'elle mette un terme aux persécutions jusqu'à l'apaisement complet de la situation. Le comte Charles de Berlaymont qualifie cette pétition de requête de gueux (en néerlandais Geuzen), un nom que les protestants reprendront à leur compte en s'en vantant. Marguerite transmet la requête à Philippe II, afin qu'il statue en dernier ressort[8].
Furie iconoclaste et révolte des Gueux (1566) |
En mars 1566 se réunissent à Bréda, à l'initiative de Louis de Nassau, neuf aristocrates qui demandent dans le Compromis des Nobles la fin des persécutions religieuses et la garantie des privilèges des Dix-Sept Provinces, tout en réaffirmant leur attachement au catholicisme, alors que plusieurs d'entre eux sont déjà protestants[19]. 2 000 signatures sont alors réunies parmi la petite noblesse, la haute aristocratie n'osant pas s'engager sur un tel texte. En réaction, Marguerite de Parme convoque le conseil d'État et l'Ordre de la Toison d'or pour la fin de mars 1566[20]. Si la plupart des nobles tergiversent, Guillaume le Taciturne soutient la modération dans l'Inquisition en attendant une réponse du roi Philippe II[21].
Au début d'avril 1566, Hendrik van Brederode et Louis de Nassau, accompagnés d'environ 200 nobles, entrent dans Bruxelles et demandent à être reçus par la régente. Le 5 avril 1566 vers midi, ils lui présentent leurs requêtes. Méprisés par Marguerite de Parme et considérés comme des « gueux », ils se saisissent de ce terme et s'en revendiquent. Le soir même, le conseil d'État se prononce en faveur de la modération religieuse, et la régente annonce sa décision trois jours plus tard, à condition que les pétitionnaires n'entreprennent rien d'anticatholique[22]. Ce soir-là a lieu le banquet des Gueux, où des membres de la moyenne noblesse, ainsi que des bourgeois fêtent à l'hôtel de Culembourg cette décision. Guillaume le Taciturne et Lamoral d'Egmont sont invités et y participent, ce qui les compromet aux yeux de la régente[23]. Cet événement, associé à la furie iconoclaste, marque le début de la révolte des Gueux.
En réaction à cette décision de modération de l'Inquisition, les prédications protestantes prennent de l'ampleur et se font de plus en plus visibles. Devant cette agitation religieuse ainsi que des difficultés économiques croissantes, Guillaume le Taciturne demande à la régente de convoquer les états généraux. Celle-ci, qui n'en a pas le pouvoir, demande à Philippe II son approbation dans une lettre, et par une autre lettre dénonce à son demi-frère les exigences de la noblesse néerlandaise[24]. Les porte-paroles des demandes néerlandaises n'arrivent à l'Escurial que le 17 août[25], et Philippe II refuse officiellement leurs demandes de suspension de l'Inquisition.
Dans un contexte de disette lié aux mauvaises récoltes de 1565 et à l'arrêt des échanges commerciaux en mer du Nord consécutif à la guerre nordique de Sept Ans, le prosélytisme des pasteurs calvinistes ne fait rien pour calmer le jeu. Au début du mois d'août 1566, la foule pille l'église d'Hondschoote dans les Flandres occidentales[26]. Cet incident mineur donne le signal de la rébellion sur toute la côte et conduit à des émeutes iconoclastes menées par les calvinistes, qui ravagent églises et édifices religieux pour manifester la désacralisation des statues et des images des saints catholiques par tous les Pays-Bas. Selon les calvinistes, en effet, ces statues ne valent pas mieux que des idoles païennes[8]. Dès le 16 août, lendemain des processions de l'Assomption, la fureur iconoclaste frappe la Zélande, le Brabant et Anvers, puis s'étendent au reste du pays pendant environ deux semaines[27]. Les violences épargnent les provinces d'Artois, Namur, Luxembourg et une partie du Hainaut où les protestants sont fort peu nombreux[28], et la ville de Bruxelles où Marguerite de Parme fait protéger les églises par ses soldats[29]. On pense aujourd'hui que l'effectif des iconoclastes était relativement faible[30] et les raisons exactes de ces émeutes sont controversées[31] mais il est certain que les autorités locales firent peu d'effort pour réfréner le vandalisme. Les déprédations des iconoclastes divisent la noblesse, Guillaume d'Orange et d'autres gentilshommes les condamnant, tandis que d'autres comme Henri de Brederode les approuvent. Ainsi, avant même d'avoir pu répondre à la pétition de la noblesse, Philippe II a perdu le contrôle des turbulentes provinces du nord. Aussi ne voit-il pas d'autre moyen que d'y dépêcher une armée pour réprimer l'insurrection. Le 22 août 1567, Ferdinand Alvare de Tolède, troisième duc d'Albe, fait son entrée à Bruxelles à la tête d'une armée de 10 000 hommes[32].
Le duc d'Albe prend des mesures cruelles et institue bientôt un Conseil des troubles (le Raad van Beroerten, mot-à-mot « Conseil des factieux ») pour juger tous ceux qui s'élèvent contre la Couronne. Personne n'est épargné, pas même les membres de la noblesse qui ont simplement plaidé pour un assouplissement des lois. Ferdinand de Tolède se considère comme un ministre plénipotentiaire de Philippe II aux Pays-Bas : passant fréquemment outre les avis de Marguerite de Parme, il se sert même d'elle pour tromper les aristocrates fugitifs, notamment le Comte d'Egmont et le Comte de Hornes, provoquant la démission de Marguerite en septembre 1567[33]. Arrêtés et jugés pour haute trahison, Egmont et Hornes sont décapités l'année suivante sur la Grand-Place de Bruxelles. Ces deux nobles, restés fidèles au roi d'Espagne jusqu'à la fin, sont exécutés parce que le duc d'Albe considère leur tolérance vis-à-vis du protestantisme comme une trahison à la Couronne. Leur mort, ordonnée par un noble espagnol plutôt que par un tribunal local, déchaîne la xénophobie à travers les Pays-Bas. Plus d'un millier d'hommes est exécuté dans les mois qui suivent[9]. Le nombre de condamnations élevé vaut aux tribunaux le surnom de « Tribunal du sang » aux Pays-Bas, et Ferdinand de Tolède est surnommé le « duc de fer ». Ces mesures, au lieu de pacifier le pays, attisent la révolte.
Guillaume d'Orange |
Guillaume d'Orange, stathouder des provinces de Hollande, Zélande et d'Utrecht, margrave d'Anvers était, de tous les pétitionnaires, le parlementaire le plus en vue des États généraux. À l'arrivée du duc d'Albe, pour éviter d'être arrêté comme Egmont et Hornes, il s'enfuit du Duché de Bourgogne et gagna les terres de son beau-père (le Prince-électeur de Saxe). Le roi d'Espagne confisque ses terres et le déchoit de ses titres aux Pays-Bas.
En 1568, Guillaume d'Orange, dit le Taciturne, marche à son tour vers les Pays-Bas pour relever de son commandement l'impopulaire duc d'Albe : il n'entend pas se rebeller contre Philippe II, mais plutôt laisser au souverain une porte de sortie pour apaiser le pays et ainsi retrouver le rôle d'autorité impartiale. Ce point de vue s'exprime au travers de l'hymne national néerlandais, le Wilhelmus, dont le couplet final s'ouvre sur : den koning van Hispanje heb ik altijd geëerd… (« J'ai toujours respecté le roi d'Espagne… »). Dans les proclamations et les courriers qu'il adressait à ses alliés, Guillaume insiste régulièrement sur le droit des sujets à renoncer à leur serment de fidélité si le roi ne respectait pas lui-même leurs droits[34].
Guillaume d'Orange tente d'encercler les Pays-Bas en ouvrant quatre fronts ; une armée menée par son frère pénètre en Gueldre depuis l'Allemagne tandis que des huguenots français attaquent au sud. Bien que la bataille de Rheindalen près de Roermond, remportée par le duc de Parme, ait lieu dès le 23 avril 1568, on considère ordinairement que la guerre de Quatre-Vingts Ans éclate le 23 mai 1568, avec la bataille de Heiligerlee, marquée par la victoire des rebelles. Cette campagne de 1568 tourne court, Guillaume d'Orange manquant d'argent pour payer ses mercenaires, tandis que ses alliés sont massacrés par le duc d'Albe.
Guillaume d'Orange s'enfuit à nouveau. Restant le seul des Grands qui pût encore résister au duc d'Albe, il est considéré désormais comme le chef des rebelles. Lorsque de nouvelles émeutes éclatent en 1572, il revient établir son quartier-général à Delft, en Hollande, le fief familial d'Orange à Brède étant toujours occupé par les Espagnols. Delft devait demeurer sa base d'opération jusqu'à son assassinat par Balthazar Gérard en 1584.
Reprise des hostilités (1572-1585) |
L'Espagne, parce qu'elle doit entretenir des troupes sur plusieurs théâtres d'opérations, est en difficulté : la guerre navale qu'elle mène contre l'Empire ottoman en Méditerranée entame sérieusement ses moyens financiers, et limite par conséquent son combat contre l'insurrection orangiste. Pourtant, comme on l'a dit, les Espagnols avaient pratiquement maté les rebelles en 1570. Mais en mars 1569, cherchant à autofinancer ses troupes qui n'étaient plus payées par Madrid, le duc d'Albe Ferdinand Alvare de Tolède tente de rationaliser l'impôt en prélevant une fois le centième denier (1 %) sur le capital et, de manière récurrente, le dixième denier (10 %) sur les transactions commerciales et le vingtième denier (5 %) sur les ventes d'immeubles. Cette réforme, qui aurait doté le pays de finances saines, est repoussée par les États généraux qui obtiennent le remplacement des deux taxes permanentes par une somme forfaitaire de deux millions de florins. Quant au centième denier, il ne rapporte que la somme dérisoire de 3,2 millions de florins[35]. Cette mesure déchaîne l'opposition chez les catholiques tout autant que chez les protestants, apportant aux rebelles de nouveaux partisans, et ce d'autant que des réfugiés se mettent à retourner vers cette époque en Hollande : le 1er mars 1572, en effet, la reine Élisabeth Ire, pour apaiser le roi d'Espagne, décrète l'expulsion de rebelles iconoclastes, appelés gueux de la mer, des ports anglais où ils avaient trouvé refuge. Ces gueux, forts de 25 navires et d'un millier d'hommes[36] commandés par Lumey, s'emparent alors contre toute attente du petit port de Brielle le 1er avril : or, par ce coup de main, les rebelles disposent non seulement d'un port d'attache, mais encore d'une victoire symbolique dans le nord. Ce coup d'éclat remobilise l'insurrection des protestants à travers tous les Pays-Bas[9].
Les plus grandes villes des provinces de Hollande et de Zélande rejoignent le camp des rebelles. Parmi les principales exceptions, il faut relever Amsterdam et Middelbourg, qui resteront loyales à la Couronne d'Espagne jusqu'en 1578. Guillaume d'Orange prend à nouveau la tête de l'insurrection et est nommé Gouverneur-général et stathouder de Hollande, de Zélande, de Frise et d'Utrecht lors d'une assemblée tenue à Dordrecht en juillet 1572. Les représentants conviennent que le pouvoir sera partagé par Guillaume d'Orange et les États, c'est-à-dire les cours souveraines des différentes provinces[37].
Si la domination des rebelles dans les provinces du nord des Pays-Bas fait entrer la guerre dans une seconde phase, à l'issue décisive, elle divise également profondément la population : une minorité de calvinistes militants appelait à poursuivre le combat contre le roi catholique Philippe II et désirait la conversion de toutes les provinces au calvinisme, tandis qu'une autre minorité, essentiellement catholique, restait fidèle au bailli des provinces (le landvoogd) et à son gouvernement. L'immense majorité de la population n'adhérait à aucun camp en particulier, mais souhaitait vivement le rétablissement des privilèges commerciaux et des libertés urbaines, ainsi que le rappel des mercenaires espagnols. Guillaume d'Orange, désormais chef unique, doit diriger les désirs de ces différentes factions vers un objectif commun. Au fil des mois, il doit céder de plus en plus aux partisans calvinistes, les plus entreprenants et les plus actifs dans la lutte armée contre les occupants espagnols : il se convertit lui-même au calvinisme en 1573[38].
La pacification de Gand |
Incapable de contenir cette nouvelle rébellion, le duc d'Albe remet sa démission. Il est remplacé en 1573 par Luis de Requesens, qui tente une politique de conciliation. Mais en 1575, la Couronne d'Espagne fait banqueroute, si bien que lorsque Requesens meurt au début de l'année suivante, sans être parvenu à un accord entre le roi et les rebelles orangistes, les mercenaires espagnols, qui ne sont plus payés, se mutinent et, pour faire du butin, mettent à sac la ville d'Anvers au mois de novembre 1576, faisant 8 000 morts. Cette « furie espagnole » marque un nouveau tournant dans la prise de conscience nationale des 17 provinces.
Les États conçoivent alors d'un traité, la Pacification de Gand, par lequel les provinces conviennent d'une trêve religieuse et s'engagent à combattre les mutins espagnols. Pour la plupart des provinces catholiques, les pillages des mutins étaient le principal motif de rejoindre la rébellion, bien qu'elles restent formellement fidèles au roi Philippe II. Pour autant, les émeutes religieuses se poursuivent par endroit et l'Espagne, renflouée financièrement par les cargaisons de métaux précieux rapportées du Nouveau Monde, met sur pied une nouvelle armée confiée à Alexandre Farnèse, duc de Parme et de Piacenza[9].
L'Union de Bruxelles |
Le traité de Gand, connu sous le nom de Pacification de Gand, est entériné à Bruxelles en janvier 1577 par un acte qui en précise les données d'application. Connu sous le nom d'Union de Bruxelles, ce traité a été rédigé sous l'influence de la majorité des seigneurs des États Généraux qui, bien que patriote, aspirait à la réconciliation avec Philippe II et au maintien du catholicisme comme unique religion autorisée. Afin d’obtenir l’adhésion de toutes les provinces, et dans la mesure où les provinces du Sud, menées par Guillaume d'Orange, sont favorables à l'indépendance et à la liberté de culte, il est rédigé en des termes hostiles aux Espagnols, mais une clause très ferme est ajoutée qui pose la « conservation de notre sainte foi et de la religion catholique, apostolique et romaine, sous la due obéissance de Sa Majesté »[39]. La Pacification de Gand trouve donc une effectivité mais l'accent est mis sur le rétablissement des relations avec la couronne et la conservation de la foi catholique romaine, les deux sujets principaux de divergence entre les Unions d'Arras et d'Utrecht.
L’Union d’Arras et la Ligue d’Utrecht |
Le 6 janvier 1579, quelques États des Pays-Bas méridionaux dont la Flandre romane, effrayés des accès de fanatisme des calvinistes de Hollande, souhaitent exprimer à nouveau leur fidélité à la Couronne et, à l'instigation du duc de Parme, signent l'Union d'Arras[40]. Cette union met un terme au protocole de la Pacification de Gand, qui laissait entrevoir une indépendance de l'ensemble des 17 provinces.
Pour faire pièce à l'Union d'Arras, le 23 janvier 1579, Guillaume d'Orange fédère les États de Hollande, Zélande, d'Utrecht, de Gueldre, de Flandre, de Brabant, de Limbourg et la province de Groningue au sein de l'Union d'Utrecht. De grandes villes du sud comme Bruges, Gand, Bruxelles, Anvers, Tournai et Valenciennes les rejoignent. Ainsi, les 17 provinces sont maintenant divisées en un camp loyal au roi d'Espagne, et un camp d'insurgés.
Le décret de déchéance |
En cette fin de XVIe siècle, il n'est pas concevable qu'un pays puisse être gouverné autrement que par une aristocratie, pour ne pas dire par un roi : aussi les États généraux cherchent-ils d'abord un successeur plausible au roi Philippe. La reine protestante d'Angleterre, Élisabeth Ire, fait un protecteur tout désigné. Mais Élisabeth, qui ne souhaite pas provoquer Philippe II plus que de mesure, repousse la proposition. Les États généraux jettent alors leur dévolu sur le frère cadet du roi de France, François, duc d'Anjou. Anjou accepte à la seule condition que les Pays-Bas proclament officiellement la déchéance de Philippe II en tant que souverain du pays. En 1581, un décret de déchéance est voté (acte de La Haye) : les Provinces y proclament que le roi d'Espagne, n'ayant pas assumé ses devoirs de monarque vis-à-vis du peuple des Pays-Bas, ne sera plus dorénavant considéré comme souverain de la province. Cependant, la population se défie énormément du duc d'Anjou et les limitations constitutionnelles que les États lui imposent finissent par agacer François d'Anjou. Celui-ci, après quelques tentatives pour contraindre militairement les cités insoumises (dont Anvers), quitte les Pays-Bas en 1583.
On propose derechef la souveraineté sur le pays à la reine Élisabeth, mais elle refuse de nouveau. Tous les recours pour fonder une monarchie constitutionnelle ayant été épuisés, les corps constitués des États généraux se résolvent à proclamer la République.
La chute d'Anvers |
Dès la promulgation du Décret de déchéance, l'Espagne dépêche un nouveau corps expéditionnaire pour reprendre en main les Provinces-Unies. Dans les années qui suivent, le duc de Parme reconquiert la plus grande partie des Flandres et du Brabant, ainsi que de larges portions des provinces du nord-est (Liège et Limbourg) : la religion catholique est rétablie dans la plupart de ces provinces. En 1585, c'est au tour de la cité d'Anvers (la plus grande ville des Pays-Bas à l'époque) de tomber aux mains du duc, et la moitié des bourgeois quittent la ville pour gagner les provinces du nord (voir siège d'Anvers). De 1560 à 1590, la population d'Anvers tombe de 100 000 à 42 000 habitants[41].
Guillaume d'Orange, qui avait été mis au ban par Philippe II en mars 1580[42], est assassiné par un royaliste le 10 juillet 1584. Son fils Maurice de Nassau, prince d'Orange, prend alors la tête de l'insurrection.
Les Pays-Bas sont à présent coupés entre les provinces du nord, sécessionnistes et républicaines, et les provinces méridionales qui sont administrées par le roi d'Espagne. Du fait que le gouvernement soit assuré presque sans interruption par des sécessionnistes calvinistes, l'essentiel de la population des provinces du nord se convertit au protestantisme en quelques décennies. Le Sud, sous gouvernement espagnol, devient quant à lui un bastion catholique: presque tous les protestants doivent fuir vers le nord. L'Espagne maintient une armée importante, dans l'éventualité d'une intervention des huguenots français.
Sécession des provinces du Nord (1585-1609) |
Pour se préparer à la guerre à laquelle elles allaient devoir faire face, les Provinces-Unies cherchent de l'aide auprès des royaumes d'Angleterre et de France.
Alors que l'Angleterre s'était bornée depuis plusieurs années à un soutien officieux des rebelles hollandais, la reine Élisabeth prend la décision d'aider ouvertement la nouvelle république. En 1585, ayant officialisé son appui militaire par le traité de Sans-Pareil, Élisabeth Ire dépêche le comte de Leicester comme gouverneur délégué, à la tête d'un corps expéditionnaire de 5 000 à 6 000 hommes dont 1 000 cavaliers. Mais le comte de Leicester, outre qu'il s'avère un piètre stratège, ne saisit pas toute la subtilité des accords commerciaux que les rebelles, en dépit du conflit, conservaient avec l'Espagne. En outre, Leicester prit parti sans nuance pour les seuls calvinistes, s'aliénant la confiance des catholiques et des modérés. Arguant de la sécurité du pays, il se heurte aussi aux États des provinces en imposant son propre gouvernement d'exception dans les villes de la côte. C'est ainsi qu'un an seulement après son arrivée dans le pays, il s'est mis toute la population à dos. Leicester doit repartir pour l'Angleterre, si bien que les États généraux des Pays-Bas, en quête d'un chef militaire, doivent en 1587 se rabattre sur Maurice de Nassau (le fils de Guillaume le Taciturne), un jeune homme de 20 ans qu'elles nommèrent stathouder.
Les contours actuels des Pays-Bas sont pour l'essentiel ceux issus des guerres menées par Maurice de Nassau. Les succès hollandais sont pour partie redevables à l'action de ce général, et pour partie à l'énorme tribut que l'Espagne doit verser pour reconstituer une flotte de guerre après la désastreuse équipée de l'Invincible Armada et résister à la vigoureuse contre-attaque anglaise menée par Francis Drake. En 1595, lorsqu'Henri IV, nouveau roi de France, déclare la guerre à l'Espagne, le gouvernement espagnol doit une seconde fois se déclarer en faillite[43].
Écrasé militairement et financièrement, Philippe II doit se résoudre en 1598 à signer la paix de Vervins avec la France, par laquelle entre autres il accepte de céder les Pays-Bas en dot à sa fille Isabelle, son neveu et beau-fils l'archiduc d'Autriche devenant le nouveau suzerain des Pays-Bas. Pendant ce temps, Maurice d'Orange-Nassau fait tomber l'une après l'autre les places-fortes espagnoles: après s'être emparé de Berg-op-Zoom (1588), Maurice conquit Bréda (1590), Zutphen, Deventer, Delfzijl et Nimègue (1591), Steenwijk et Coevorden (1592), Mont-Sainte-Gertrude (1593), Groningue (1594), Grol, Enschede, Ootmarsum et Oldenzaal (1597), puis enfin Grave (1602)[44]. Comme tous ces combats ou sièges ont lieu aux marches des provinces rebelles, la Hollande, pratiquement épargnée par le conflit, est le berceau de ce qu'on appelle aujourd'hui le Siècle d'or néerlandais.
Pour autant, il est alors tout aussi clair que les Espagnols tiennent maintenant les provinces du sud bien en main militairement, à ceci près que la mainmise des Provinces-Unies sur la Zélande permet à tout moment à la jeune république d'établir un blocus depuis l'estuaire de l'Escaut, artère maritime vitale de l'immense port d'Anvers. Plus au nord, le port concurrent d'Amsterdam va graduellement s'enrichir du blocus d'Anvers, au point que l'oligarchie commerçante de Hollande commence à se demander sérieusement si la conquête des provinces du sud en vaut vraiment la peine. Contre l'avis de Maurice de Nassau, on vote finalement le lancement d'une campagne militaire contre les ports de la côte sud en 1600. Cette campagne, bien que présentée par les Hollandais comme une guerre de libération des provinces méridionales, vise en fait à mettre un terme aux assauts des convois marchands par les corsaires dunkerquois stipendiés par les Espagnols. Les Espagnols, conscients du danger, renforcent leurs positions le long de la côte, et c'est dans ce contexte qu'éclate la bataille de Nieuport.
Malgré la défaite éclatante et inattendue que l'armée des Provinces-Unies inflige alors en bataille rangée à l'armée royale espagnole, Maurice décida d'interrompre sa marche vers Dunkerque et, invaincu, fait retraite vers les provinces du nord. Maurice ne pardonna jamais aux régents, menés par le grand-pensionnaire van Oldenbarnevelt, de l'avoir chargé de cette mission.
La sécession des Pays-Bas en deux groupes de provinces était à présent consommée. N'ayant pu mettre un terme par voie de terre à la menace dunkerquoise, les États décident de développer une puissante marine de guerre pour protéger leurs convois commerciaux, qui s'étaient multipliés depuis la création de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales en 1602. Les flottes de guerre néerlandaises s’avéreront au fil des décennies une force militaire formidable : leur action sonne le glas de l'empire colonial espagnol outre-mer.
La Trêve de Douze Ans (1609-1621) |
L'année 1609 est marquée par la signature à Anvers d'un cessez-le-feu entre les Provinces-Unies et les Pays-Bas espagnols, appelé par la suite la Trêve de douze ans, grâce à la médiation de la France et de l'Angleterre. C'est au cours de cette trêve que les Provinces-Unies mettent sur pied leur grande flotte de guerre, qui jouera un rôle si important pour la suite du conflit.
Mais au cours de cette trêve, deux factions s’élèvent au sein de la république, factions divisées tant par la politique que par la religion. D'un côté, les remonstrants ou arminiens, avec pour champions le grand-pensionnaire Johan van Oldenbarnevelt et Hugo Grotius[45], sont de grands bourgeois républicains ouverts à une interprétation de la Bible moins littérale que les calvinistes de stricte obédience qui mettent notamment en doute la doctrine de l'élection inconditionnelle (ou double prédestination) ; ils affirment la liberté de l’homme face à Dieu et face à l’Église[46]. Leurs adversaires sont les gomaristes, qui sont fidèles au calvinisme pur exprimé dans la Confessio Belgica et partisans d'une théocratie à la Calvin qui avaient ouvertement fait allégeance au stathouder Maurice de Nassau en 1610[47]. En 1617, l'opposition entre ces deux partis tourne à la guerre civile avec le vote d'un « choix tranché » (en néerlandais Scherpe Resolutie) par lequel les villes sont autorisées à réprimer l'activisme des gomaristes. Le stathouder Maurice accuse lors du Synode de Dordrecht le grand-pensionnaire van Oldenbarnevelt de haute trahison, le fait arrêter et exécuter en 1619. Hugo Grotius s'enfuit de la forteresse de Loevestein, où il était détenu en attente de son jugement, et quitte le pays[45].
Derniers épisodes (1621-1648) |
Reprise des hostilités |
Tout au long de la trêve, les pourparlers en vue d'une paix définitive s'étaient poursuivis, mais deux points de divergence persistaient: tout d'abord, les négociateurs espagnols exigeaient la liberté de culte pour les catholiques des Provinces-Unies, mais refusaient de reconnaître cette liberté aux protestants dans les Pays-Bas espagnols ; ensuite, le conflit autour des routes de commerce vers les colonies (celles d'Extrême-Orient et d'Amérique notamment) ne fit que s'amplifier. Les Espagnols entreprirent enfin une ultime campagne militaire pour faire tomber les Provinces du nord, ce pendant que les Hollandais déployèrent leur flotte de guerre pour s'ouvrir la route des comptoirs d'outre-mer au détriment du commerce espagnol. C'était le début d'une nouvelle guerre, qui s'ajoutait aux horreurs de la guerre de Trente Ans.
L'assaut espagnol sur la forteresse-clef de Berg-op-Zoom est repoussé en 1622, mais en 1625, le stathouder Maurice trouve la mort avant que le siège de Breda ne soit levé. Le général espagnol Ambrogio Spinola obtient la reddition de la ville peu après : cet épisode fut immortalisé par le peintre Velázquez dans son célèbre tableau intitulé Las Lanzas (ci-contre). Pourtant, après cette victoire, le vent tourne définitivement en faveur de la république néerlandaise. Frédéric-Henri, demi-frère du stathouder Maurice, reprend le flambeau à la tête de l'armée républicaine et s'empare de la forteresse stratégique de Bois-le-Duc en 1629 : cette ville, alors la plus importante du nord-Brabant, était jugée imprenable, et la désillusion des Espagnols est profonde.
Puis en 1632, c'est la chute des places de Venlo, Roermond et Maestricht au cours de la célèbre « Marche de la Meuse », une manœuvre d'étau qui prépare la conquête des cités flamandes. Au cours des années suivantes, les républicains ne parviennent toutefois pas à s'emparer d'Anvers et de Bruxelles ; d'ailleurs, d'une manière générale, les généraux hollandais sont déçus du manque d'enthousiasme de la population flamande à leur égard. Cette attitude s'explique par le pillage de Tirlemont et le fait que la nouvelle génération des Flandres et de Brabant, qui a grandi dans une société profondément remodelée par la Contre-Réforme, se défie bien davantage de la religion réformée que des forces d'occupation espagnoles.
Opérations outre-mer |
La guerre, survenant à une période où les puissances européennes s'efforcent de développer leur commerce outre-mer, gagne bientôt les colonies elles-mêmes : la lutte pour la maîtrise des comptoirs se traduit par des affrontements sur des théâtres d'opération aussi éloignés que Macao, les Indes orientales, Ceylan, Formose, les Philippines, le Brésil, etc. Le plus important de ces conflits est la guerre batavo-portugaise. Les Hollandais se forgent un réseau commercial à travers le globe, exploitant leur suprématie navale avec profit. Des actionnaires investissent dans une Compagnie néerlandaise des Indes orientales chargée d'exploiter les comptoirs de l'océan Indien, tandis qu'une Compagnie néerlandaise des Indes occidentales dispose d'un monopole pour le commerce atlantique.
En ce qui concerne les colonies américaines, les États généraux des Pays-Bas se bornent le plus souvent à rémunérer des corsaires dans les Antilles pour piller les convois espagnols et remplir les coffres de la République. La prise la plus importante est celle d'une partie de la Flotte des Indes par le corsaire Piet Hein en 1628, qui permet au stathouder Frédéric-Henri de financer le siège de Bois-le-Duc tandis qu'il prive les troupes espagnoles d'une partie de leur solde. Les Hollandais tentent aussi quelques coups de main sur des colonies existantes, et quelques comptoirs sont créés le long des côtes du Venezuela, dans le golfe du Maine et le long des côtes d'Afrique (notamment Madagascar), mais leur existence est généralement éphémère[48]. Dans l'océan Indien, en revanche, les entreprises coloniales aboutissent à la mainmise sur de nombreux comptoirs lucratifs, facteur décisif dans l'émergence du Siècle d'or néerlandais[49].
Vers la paix |
En 1639, l'Espagne dépêche une escadre vers les Flandres, transportant 20 000 hommes afin d'appuyer une campagne à grande échelle contre les « rebelles » ; mais cette armada est détruite lors de la Bataille des Downs par le contre-amiral Maarten Tromp[50], une victoire dont la portée dépasse la guerre de quatre-vingts ans elle-même, dans la mesure où les historiens considèrent généralement qu'elle marque la fin de la suprématie espagnole sur les mers.
L'alliance des Provinces-Unies avec la France, si elle a changé le rapport de forces, change aussi l'enjeu du conflit. S'il est vrai que la république ne pouvait plus espérer reconquérir les provinces de Flandre et du Brabant seule, une victoire combinée avec l'aide française implique évidemment un partage à terme des territoires entre les deux vainqueurs, avec une France menaçante aux frontières des Pays-Bas. En outre, cela implique que le blocus d'Anvers prendra fin, le port flamand redevenant un concurrent efficace d'Amsterdam. Au plan confessionnel, la tournure prise par la guerre de Trente Ans montre que les nations protestantes ne sont plus menacées en tant que telles. Ces considérations décident les belligérants à mettre un terme au conflit[51].
Épilogue : les Traités de Westphalie |
Le 30 janvier 1648, le conflit prend fin avec la signature du traité de Münster entre l'Espagne et les Provinces-Unies. À Münster, le 15 mai 1648, les représentants des belligérants échangent les exemplaires ratifiés du traité, qui n'est que l'un des multiples accords aboutissant à la paix de Westphalie, laquelle conclut la guerre de Trente Ans.
Le traité sanctionne le nouvel équilibre géopolitique des puissances en Europe. Concrètement, la république des Provinces-Unies, dont l'existence n'était alors que juridique, est reconnue comme un État indépendant et comprend les territoires conquis en 1648[52]. Cette nouvelle république comporte sept provinces : la Hollande, la Zélande, Utrecht, la Gueldre, Overijssel, la Frise, et Groningue. Chaque province est administrée par un parlement, « les États », et par un chef militaire, le stathouder. Au plan constitutionnel, le stathouder est élu et est subordonné aux États généraux des Pays-Bas. Mais en pratique, c'est dans la Maison d'Orange-Nassau (dynastie fondée par Guillaume le Taciturne), que se recrutent de facto les stathouders des provinces de Hollande et de Zélande ; les autres provinces se rangeaient fréquemment à ce choix elles aussi. Une lutte constante pour le pouvoir, dont les contours se dessinaient déjà pendant la Trêve de Douze Ans, se poursuit désormais entre les orangistes, partisans d'une république militaire dirigée par un « stathouder général », et les républicains préférant le gouvernement du Grand-pensionnaire.
Les provinces périphériques occupées à la fin des hostilités par les Républicains, à savoir des portions des Flandres, du Brabant et du Limbourg, seront gouvernées directement par la Fédération, c'est-à-dire les États généraux des Pays-Bas. Ces nouvelles provinces, les Pays de la Généralité (Generaliteitslanden), comprenaient les États de Brabant (aujourd'hui Brabant-Septentrional), les États de Flandre (aujourd'hui Flandre zélandaise) et les États de Limbourg (aujourd'hui district de Maastricht).
Pour la jeune république, la paix devait n'être que de courte durée : seulement quatre ans après les Traités de Westphalie, en 1652, elle entre en guerre avec le Commonwealth de l'Angleterre (Première guerre anglo-néerlandaise).
Conséquences |
La révolution militaire |
La guerre de Quatre-Vingts Ans s'était ouverte sur des affrontements de bandes mercenaires, comme cela était courant au XVIe siècle. Pour les deux belligérants, si les résultats militaires étaient peu concluants, le coût était élevé. Dans la mesure où le conflit trouvait son origine, non dans des revendications territoriales, mais dans des aspirations populaires (la liberté confessionnelle et le montant des impôts), il impliqua très vite, non plus seulement des hommes de guerre, mais des civils à tous les échelons de la société. Telle est sans doute l'origine de la décision (a posteriori heureuse) des rebelles de ne défendre que leurs villes.
L'implication de civils de toute condition dans le conflit déboucha sur la formation, aux côtés de l'armée de mercenaires de Guillaume le Taciturne, d'une milice nationale plus ou moins informelle à ses débuts. Parmi ces civils se trouvaient les gueux, qui menèrent une guérilla sans merci contre les intérêts espagnols sur le territoire des provinces. Les gueux fournirent en particulier de nombreux contingents de marins au service des Provinces-Unies.
Il y eut peu de batailles rangées : le conflit fut pour l'essentiel une guerre de sièges, caractérisée par l'emploi de troupes peu nombreuses mais professionnelles, spécialisées et onéreuses. Les Hollandais avaient fortifié toutes leurs grandes villes et un certain nombre de villes de moyenne importance, selon les doctrines militaires du temps. Certains sièges furent interrompus brutalement, l'armée assiégeante étant menacée d'être attaquée sur ses arrières. Isolées par des marécages et les grands fleuves, les provinces septentrionales parvinrent à se défendre. En revanche, Anvers et Bruxelles durent se convertir et restèrent espagnoles.
Dans les dernières phases du conflit, Maurice de Naussau met sur pied une armée de métier, rémunérée même en temps de paix : les soldats sont entraînés à s'apporter un appui mutuel en toute circonstance, les officiers reçoivent un enseignement de haut niveau au sein de l'Académie militaire de Leyde et les troupes sont capables d'exécuter des manœuvres complexes. Ces innovations constituent un moment important de la Révolution militaire. Elles assurent en outre au stathouder la fidélité des troupes.
Une autre caractéristique du conflit est que fort peu de villes qui se sont rendues sans combattre sont pillées par la suite.
Conséquences pour les Pays-Bas |
Par la Pragmatique Sanction, Charles Quint avait fait des dix-sept provinces des Pays-Bas une entité territoriale entièrement distincte de la France, de la Bourgogne, ou du Saint Empire romain. Les Pays-Bas étaient alors l'une des plus riches régions d'Europe, et un foyer majeur pour le commerce, la finance et les arts. La guerre de Quatre-vingts Ans coupa cette entité en deux régions : la république des Provinces-Unies qui se développa comme une puissance maritime (cf. Siècle d'or néerlandais), et les Pays-Bas espagnols (qui recouvraient à peu de chose près la Belgique actuelle) dont le destin fut pour deux siècles partagé entre la France et l'Espagne.
Politiquement, un État de type nouveau était apparu, gouverné au plan civil par un parlement fédéral (les États Généraux), mais où un reliquat de pouvoir aristocratique (le stathoudérat) était maintenu aux affaires militaires, et assumé par une dynastie (la Maison d'Orange-Nassau). Ce partage des pouvoirs était censé éviter les altercations entre bourgeois et nobles, comme cela eut lieu au cours de la Première révolution anglaise, mais elles se développèrent malgré tout sur le long terme, menant finalement à la fin des Provinces-Unies et à la naissance de la République batave à la fin du XVIIIe siècle.
Conséquences pour la couronne d’Espagne |
La colonisation de vastes territoires aux Amériques avait fait de l'Espagne la première puissance européenne à la fin du XVIe siècle. Cette position l'entraîna dans des conflits d'influence incessants avec la France et l'Angleterre émergente. Les monarques d'Espagne, notamment Charles Quint et Philippe II, étaient profondément catholiques, et se concevaient comme les protecteurs de la vraie foi contre l'islam en mer Méditerranée et les hérésies protestantes en Europe du Nord.
Cela impliquait que le royaume était presque perpétuellement en guerre[53]. De toutes les guerres qu'il eut à mener, cependant, la guerre de Quatre-Vingts Ans fut la plus longue, la plus éprouvante pour les finances de la couronne, enfin la plus douloureuse pour les Espagnols eux-mêmes, avec des soldats partis à jamais, des impôts toujours plus lourds et des victoires sans lendemain. La Couronne dut se déclarer à deux reprises en faillite.
La perte du Portugal en 1640 et la paix de Westphalie en 1648, sont les premiers signes du déclin de l'influence espagnole en Europe.
Conséquences sur la conscience politique européenne |
Le soulèvement des Pays-Bas contre leur souverain, dont la manifestation la plus symbolique fut le décret de déchéance (1581), témoigne que désormais un roi peut être déposé par ses sujets pour peu qu'il n'assume pas les devoirs dont Dieu l'a investi envers ses sujets. Cette vision politique fut alimentée par la foi calviniste, fondée sur les connaissances approfondies de l'Ancien Testament portant notamment sur le pouvoir limité des rois hébreux. Le précédent néerlandais bouleverse la notion de droit divin, et réhabilite le statut de république. La reconnaissance d'un État non monarchique en 1648 ayant fait l'unanimité en Europe, devait à terme miner l'autorité divine des rois. Ainsi peut-on voir dans l'épisode néerlandais un signe avant-coureur de la Première révolution anglaise (1642-1651) et au-delà, de la Révolution française (1789-1799), à l'issue desquelles des rois sont déposés par leurs propres sujets.
Notes et références |
(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Dutch Revolt » (voir la liste des auteurs).
Quilliet 1994, p. 89
Quilliet 1994, p. 88
Quilliet 1994, p. 85
Quilliet 1994, p. 93
Quilliet 1994, p. 96
Quilliet 1994, p. 164.
Quilliet 1994, p. 121.
(en) Pieter Geyl, History of the Dutch-Speaking peoples 1555-1648, Londres, Phoenix Press, 2001 (réimpr. 1ère éd. comprenant les 2 vol. de 1932 et 1936)) (ISBN 1-84212-225-8)
(en) Henry Kamen, Spain, 1469–1714: a society of conflict, Harlow, Royaume-Uni, Pearson Education, 2005 (réimpr. 3e) (ISBN 0-582-78464-6, présentation en ligne)
Quilliet 1994, p. 191
Les Mémoires de François de Scepeaux, sire de Vieilleville (de 1527 à 1572 ; ed. 1787) expliquent, p. 431 : « repétant ce vos par trois fois, terme de mépris chez les Espagnols, qui veut dire toy, toy en François ; particularité que j'ai apprise de mon père, qui la tenoit d'un confident du Prince d'Orange qui étoit présent »
Quilliet 1994, p. 216
Quilliet 1994, p. 217
Quilliet 1994, p. 218
Quilliet 1994, p. 221
Quilliet 1994, p. 220
Quilliet 1994, p. 222
Quilliet 1994, p. 223
Quilliet 1994, p. 285
Quilliet 1994, p. 286
Quilliet 1994, p. 287
Quilliet 1994, p. 288-289
Quilliet 1994, p. 289
Quilliet 1994, p. 290
Quilliet 1994, p. 291
(nl) Han van der Horst, Nederland, de vaderlandse geschiedenis van de prehistorie tot nu, Londres, Bert Bakker, 2000 (réimpr. 3e éd.) (ISBN 90-351-2722-6), p. 133
Quilliet 1994, p. 301
Quilliet 1994, p. 302
Quilliet 1994, p. 303
Limm (1989) observe qu’« il y eut rarement plus de 200 émeutiers » même dans les provinces du Nord, où une foule importante assistait aux déprédations (p. 25). Dans le cas des provinces du sud, il évoque de petits groupes bien organisés se déplaçant à travers le pays.
Cf. Spaans (1999), p. 152 et suiv., où cette historienne indique que l'iconoclasme fut instrumentalisé par l'aristocratie locale pour des raisons politiques (J. Spaans, Catholicism and Resistance to the Reformation in the Northern Netherlands, in Ph. Benedict et al., Reformation, Revolt and Civil War in France and the Netherlands, 1555-1585 (Amsterdam 1999), p. 149-163).
(nl) Han van der Horst, Nederland, de vaderlandse geschiedenis van de prehistorie tot nu, Londres, Bert Bakker, 2000 (réimpr. 3e éd.) (ISBN 90-351-2722-6), p. 134
(en) Peter Limm, The Dutch Revolt, 1559-1648, Londres, Longman, 1989 (réimpr. 1ère éd.), p. 30
Limm 1989, p. 32.
DUMONT (G.-H), Histoire de la Belgique, Paris, Hachette, 1977, p. 190
Quilliet 1994, p. 353
Limm 1989, p. 40
Limm 1989, p. 40.
Leclerc, Histoire de la tolérance au siècle de la Réforme, France, Albin Michel, 1994, 862 p., « conservation de notre sainte foi et de la religion catholique, apostolique et romaine, sous la due obéissance de Sa Majesté ».
en hollandais « Atrecht »
Cf. G. Marnef, "The towns and the revolt", in: G. Darby, The Origins and Development of the Dutch Revolt (Londres - New York 2001) p. 84-106, notamment p. 85 et p. 103.
Cf. Limm (1989), p. 53 et 55.
L'Espagne parvint toutefois à reprendre au fil des années le contrôle des mers, multiplia ses importations d'or et d'argent depuis l'Amérique, ce qui lui permit pour quelques décennies encore de limiter l'expansion de l'Angleterre et de la France.
Jan Blokker, Que reste-t-il de la guerre de Quatre-Vingts Ans? [« Waar is de Tachtigjarige Oorlog gebleven? »], De Harmonie, 2005, 1re éd., 200 p., paperback (ISBN 9-061-69741-7, présentation en ligne)
John L. Motley, « The Life and Death of John of Barneveld », sur Projet Gutenberg, 1874
« Le protestantisme aux Pays-Bas », sur le site du Musée virtuel du protestantisme (consulté le 8 octobre 2018).
(en) J. I. Israel, The Dutch Republic - Its Rise, Greatness, and Fall 1477-1806, Oxford University Press, 1998, 2e éd. (1re éd. 1995), 431 p., paperback (ISBN 0-198-20734-4)
(nl) Henk J. den Heijer, De geschiedenis van de West-Indische Compagnie, Zutphen, Pays-Bas, Walburg Pers, 2002, 2e éd. (ISBN 9-060-11912-6, présentation en ligne)
(nl) Femme S. Gaastra, De geschiedenis van de VOC, Zutphen, Pays-Bas, Walburg Pers, 1991, 2e éd. (ISBN 9-060-11929-0, présentation en ligne)
Cf. M.G. de Boer, Tromp en de Armada van 1639, Amsterdam, N.V. Noord-Hollandsche Uitgeversmaatschappij, 1941, 210 p..
(nl) J.C.H. Blom, Histoire des Pays-Bas [« Geschiedenis van de Nederlanden »], Rijswijk, Pays-Bas, Nijgh en Van Ditmar Universitair, 1993 (réimpr. 2nde) (ISBN 90-237-1164-5, présentation en ligne)
(en) Andreas Osiander, « Sovereignty, International Relations, and the Westphalian Myth », International Organization, vol. 55, no 2, 2001, p. 251–287
Cf. Paul Kennedy, Naissance et déclin des grandes puissances, Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 1989, 730 p. (ISBN 2-228-88401-4), « Les tentatives hégémoniques des Habsbourg »
Voir aussi |
Bibliographie |
- Alain Lottin, « La révolte des Gueux », Les Échos du Pas-de-Calais, 2007
- Alain Lottin, Les « casseurs » de l'été 1566 : l'iconoclasme dans le nord, Paris, Hachette, 1981.
- Peter Limm, The Dutch Revolt, 1559-1648, Londres, Longman, 1989
- Schulten Kees, L'indépendance des Provinces-Unies (1559-1659) : cent ans de sièges et de guerres, Paris, Economica, 2009.
- Bernard Quilliet, Guillaume le Taciturne, Fayard, 1994 (ISBN 2-213-59345-0)
Articles connexes |
- Chronologie de la guerre de Quatre-Vingts Ans
- Chansons de gueux
- Gueux de la mer
Histoire de l'Espagne : le Siècle d'or espagnol
- Pays-Bas espagnols
- Provinces-Unies
- Traités de Westphalie
- Révolte des Gueux
Lien externe |
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