République de Venise
Serenìsima repùblica de Venessia vec
Serenissima Repubblica di Venezia it
697 – 1797
Statut | République aristocratique, Oligarchie |
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Capitale | Venise |
Langue | Vénitien, Italien, latin |
Religion | Catholicisme |
Monnaie | Venetian lira (en) |
697 | Élection du 1er Doge |
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27 juin 1358 | Traité de Zara |
17 mai 1797 | Traité de Leoben |
697-717 (1er) | Paolo Lucio Anafesto |
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1789-1797 (120e) | Ludovico Manin |
Entités précédentes :
Empire byzantin
Entités suivantes :
Province vénitienne d'Autriche
République transpadane
Départements français de Grèce
La république de Venise dite la Sérénissime (en italien, Serenissima Repubblica di Venezia ; en vénitien, Serenìsima Repùblica Veneta) est un État progressivement constitué au Moyen Âge autour de la cité de Venise, et qui s'est développé par l'annexion de territoires divers et de comptoirs commerciaux le long des côtes de la mer Adriatique, en Méditerranée orientale et en Italie du Nord, jusqu'à devenir une des principales puissances économiques européennes. Venise occupe alors une place prépondérante dans les échanges économiques entre l'Occident et l'Orient méditerranéen, byzantin ou musulman.
La république de Venise a construit son indépendance politique et sa puissance économique grâce au commerce maritime. Les Vénitiens ont noué des alliances avec l’empire de Byzance. La flotte vénitienne aide militairement l’Empire byzantin contre les invasions arabes et normandes et contre les pirates croates qui nuisent au commerce. L’Empire byzantin accorde des privilèges commerciaux à Venise. Les Vénitiens peuvent établir des comptoirs dans l’Empire pour profiter du commerce.
Lors des croisades, Venise est un lieu d’escale pour les croisés et développe un axe de commerce Nord-Sud (avec les Anglais et les Flamands). Entre le XIe et XIIIe siècles, Venise émerge puis se développe au XIVe siècle, via la « Bourse du Rialto », qui facilite le développement d'une flotte commerciale et le quadruplement de la superficie de l'arsenal de Venise, véritable « État dans l'État », sur lequel la cité construit sa richesse qui permet de développer son importance politique.
La Sérénissime, avec ses institutions aristocratiques remarquablement stables sur près d'un millénaire, contribue à son rôle politique essentiel.
À partir du XVIe siècle, elle connaît une phase de déclin économique (le commerce maritime s'est déplacé de la Méditerranée vers l’Atlantique), politique et de régression territoriale quelque peu occultée par une extraordinaire floraison artistique, avant de disparaître, en 1797, vaincue par Napoléon Bonaparte, alors général aux ordres du Directoire révolutionnaire français. La Sérénissime, avec ce qui restait de son domaine territorial, passe alors par le traité de Campo-Formio sous la souveraineté autrichienne.
Sommaire
1 Histoire
1.1 La création
1.2 L'expansion médiévale
1.3 Les guerres d'Italie
1.4 Perte de la suprématie commerciale et maritime (XVIe siècle-1797)
2 Institutions
2.1 Le concio
2.2 Grand Conseil
2.3 Sénat
2.4 Le Doge
2.5 Le Collège suprême
2.6 Le Collège
2.7 Conseil des Dix
3 Territoires ultramarins
3.1 Les possessions de Venise
3.2 Les possessions du Levant
3.3 Les possessions en 1797
3.3.1 Domini di Terraferma (« domaines de terre ferme »)
3.3.2 Stato da Màr (« État de la Mer »)
4 Postérité
5 Notes et références
6 Voir aussi
6.1 Bibliographie
6.2 Sources
6.3 Articles connexes
6.4 Liens externes
Histoire |
La création |
Depuis ses débuts au VIe siècle Venise était une partie de l'Empire byzantin mais la faiblesse de l'exarchat de Ravenne et des tribuns des îles face aux Lombards favorisa l'émergence d'un pouvoir local incarné par le premier duc ou « doge », Paolucio Anafesto (697-717), personnage aux confins de la légende et de l'histoire. Comme leurs prédécesseurs les magister militum, représentants du pouvoir byzantin, les premiers doges résidèrent à Eraclea. Le second doge de la tradition, Marcello Tegalliano (717-726), aurait d'ailleurs été lui-même magister militum lorsque Paolo Lucio traita avec le souverain lombard Liutprand. Le troisième doge — et premier historique — fut l'hypatus Orso Ipato (726 à 737), hypatus signifiant à peu près « consul » en grec. Il tenta de secouer la tutelle impériale lors de la crise iconoclaste et finit assassiné. Le pouvoir fut exercé pendant cinq ans par des magistri militum avant d'être repris par le fils d'Orso, Teodato. Celui-ci transféra son siège à Malamocco. Au IXe siècle, le doge Angelo Participazio déménagea finalement son siège à Rialto, à la suite du siège de Pépin d'Italie. Au XIe siècle, Venise s'émancipa de l'Empire byzantin et, en 1054, choisit l'obédience de Rome. Ce sera le vrai début de l'existence de Venise sur la scène internationale.
L'expansion médiévale |
Néanmoins l'essor de Venise s'appuya d'abord sur ses relations commerciales avec Constantinople. En 1082, encore nominalement intégrés dans l'Empire byzantin, les Vénitiens reçurent d'importants privilèges commerciaux, en récompense de l'aide navale qu'ils apportèrent au basileus Alexis Comnène contre les Normands, qui assiégeaient Durazzo. L'expansion prit d'abord pour cadre la mer Adriatique. Au Xe siècle, les Vénitiens s'assurèrent le contrôle de la côte dalmate. Ils éliminèrent notamment les pirates dalmates qui nuisaient à leur commerce.
Comme les trois autres grands ports d'Italie, Gênes, Pise et Amalfi, Venise était une ville-État qui établit son pouvoir par la proximité maritime, en italien Repubblica Marinara. La république a soutenu la Ligue lombarde formée en 1167, emportant la victoire de Legnano face à l'empereur Frédéric Barberousse en 1176. Frédéric fut contraint de signer la paix de Venise en 1177 et les villes lombardes obtinrent la reconnaissance de leurs libertés tout en acceptant la souveraineté impériale par la paix de Constance.
Venise distança ses concurrentes en plusieurs étapes, la première étant la quatrième croisade. En 1202-1204, elle participa à la quatrième croisade et reçut ainsi plusieurs territoires lors du dépeçage de l'Empire byzantin, notamment plusieurs îles grecques et une partie de la ville de Constantinople. Ces positions lui assuraient le contrôle commercial de toute la Méditerranée orientale. Jusque-là reine de l'Adriatique, elle devenait un point de passage obligé entre l'Orient maritime et l'Occident continental. Le marchand Marco Polo symbolisa son esprit d’entreprise au XIIIe siècle et au XIVe siècle, qui voit la « Bourse du Rialto » permettre l'échange des parts de navire d'une flotte commerciale en pleine expansion, d'où le quadruplement de la superficie de l'arsenal de Venise en trois décennies, mené par les autorités de la ville.
La république de Venise se trouvait à la tête d'une guirlande de possessions maritimes. Sa domination sur la Terre Ferme (en) était réduite. En Italie du Nord, son territoire n'allait pas au-delà de Vicence, Vérone, Padoue et des côtes du Frioul.
L'expansion vénitienne passa à une deuxième étape au lendemain de la guerre de Chioggia (1378-1381). À plusieurs reprises entre le XIIIe siècle et le dernier tiers du XIVe siècle, Vénitiens et Génois se livrèrent des combats féroces. La guerre de Chiogga consacra un temps la primauté de Venise sur Gênes, mais les deux villes s'affrontèrent encore longtemps. La cité des doges devint le centre des échanges méditerranéens jusqu'au début des guerres d'Italie (1494). La République dominait l’économie monde de l'époque grâce à son contrôle sur la majorité de la côte Adriatique (notamment la plupart des villes-États dalmates), des îles de la mer Égée, dont la Crète et Chypre et grâce à son influence notable au Moyen-Orient. Venise se trouvait « au cœur du système de circulation le plus vaste de l'époque, étendu à la mer entière »[1]. Elle s'adjugeait « la plus grosse part des achats de poivre et d'épices du Levant, du moins venus de l'océan Indien aux échelles du Levant » et elle était « par excellence le revendeur de ces denrées précieuses à l'Occident, notamment à l'Allemagne, le plus gros consommateur d'Europe »[1]. L'historienne Élisabeth Crouzet-Pavan constate que les marchands vénitiens étaient actifs sur toutes les places commerciales, de Constantinople à la Crète, de Bruges à l'Arménie, de l'Afrique du Nord à l'Eubée. Cette domination était assurée par la supériorité technique des galères sorties de l'arsenal de Venise qui est, dans la première moitié du XVe siècle, le premier employeur de l'Occident avec, dix-sept mille employés, la flotte marchande vénitienne comptant alors vingt-cinq mille marins[2].
Au XIVe siècle, avide de régner sur l'Adriatique, la république de Venise a étendu son influence sur les villes de Frioul et de la péninsule d'Istrie après des siècles de conflit avec les patriarches d'Aquilée. Le 13 juillet 1419, les forces de la Venise sous le doge Tommaso Mocenigo occupèrent Cividale et se préparèrent à la conquête d’Udine, qui tombe le 7 juin 1420, après une âpre défense. Tout de suite après, Gemona, San Daniele, Venzone et Tolmezzo tombèrent, ce qui marque la fin de l’État du patriarcat frioulan. L'empereur Sigismond de Luxembourg a reconnu les conquêtes et céda le territoire en fief impérial au doge de Venise en 1437. Le comté de Goritz (Gorizia) voisin et le port de Trieste échurent aux archiducs d'Autriche de la maison de Habsbourg. L'ancienne marche d'Istrie s'est scindée en deux : le pourtour maritime est revenu à la Sérénissime, l'intérieur des terres autour de Pisino aux Habsbourg. Et cette situation a perduré durant quatre siècles, jusqu'à la chute de Venise, en 1797.
Le revenu par habitant en 1400 était alors quinze fois plus élevé que celui de Paris, Madrid ou Londres[3]. En 1423, dans son discours sur l'état de la cité, le doge Tommaso Mocenigo peut recenser trois mille navires marchands, trois cents navires de guerre[2]. La Sérénissime est au summum de sa puissance.
L’État se comporte comme une gigantesque compagnie de navigation : tous les ans, il affrète, sous l’autorité du Sénat, quinze à vingt vaisseaux de 300 à 500 tonneaux, naviguant toujours groupés par deux ou quatre, vers l’Orient, l’Égypte, l’Afrique du Nord, et de plus en plus vers les ports anglais et flamands. L'administration est efficace et rigoureuse : la cité sans arrière-pays importe des denrées alimentaires (céréales, viande, huile et vin) qui font l’objet d’un monopole de l’État.
Les guerres d'Italie |
Au XVe siècle, la République faisait partie des cinq principales puissances en Italie, aux côtés du duché de Milan, du royaume de Naples, de la République florentine, et des États de l'Église. Ces différents États s'affrontaient pour la suprématie en Italie. Venise en profita pour étendre son territoire sur la Terre Ferme (Padoue, Vicence, Vérone, Trévise[4], Bergame, Brescia, et le Frioul), notamment aux dépens du duché de Milan.
La paix de Lodi en 1454 assura un statu quo entre ces puissances régionales mais l'irruption de grandes puissances étrangères à la fin du XVe siècle perturba l'équilibre. En 1494, le roi de France Charles VIII entra en Italie puis soumit Naples. Venise prit l'initiative de la réaction. Elle rassembla une coalition, la sainte Ligue, constituée des principaux États italiens (sauf Florence et Naples). Mais leur armée ne put bloquer à Fornoue le retour du roi en France.
En 1499, Venise prit Crémone, Rimini en Romagne et Trieste. Cette croissance sur la Terre Ferme inquiéta ses voisins qui formèrent en 1508 une alliance contre elle : la Ligue de Cambrai. Elle comportait de redoutables ennemis, à savoir le pape, l'empereur, les rois de France, d'Angleterre, d'Espagne et de Hongrie. Sans compter Florence et Ferrare. Le pape Jules II, dont le pouvoir temporel était menacé par les Vénitiens en Romagne, prononça l'excommunication de la République le 27 avril 1509. En principe, elle ne pouvait donc plus célébrer des offices religieux sur son territoire. Parallèlement, le roi de France Louis XII conduisait les opérations militaires. Il pénétra en Vénétie et défit les troupes vénitiennes à Agnadel (en italien Ghiaradadda). Malgré cette défaite retentissante, Venise parvint miraculeusement à sauver son État. La cité ne fut pas prise et fut même capable de reprendre pied sur la Terre Ferme grâce au soutien de paysans ou d'artisans[5]. Mieux, en 1511, la Ligue de Cambrai se retourna contre le roi de France : le pape, les Espagnols et les Anglais le chassèrent d'Italie.
Quelques années plus tard, les alliances se renversèrent encore. Les Vénitiens soutinrent cette fois le roi de France François Ier qui s'engageait dans une reconquête du Milanais. Ce soutien s'avéra décisif dans la victoire franco-vénitienne de Marignan en 1515.
Dans les années suivantes, l'Italie resta un champ de bataille. François Ier et Charles Quint s'y affrontèrent. Venise fut une des rares capitales italiennes à ne pas être prises. Même Rome, la cité papale, subit un sac en 1527.
Perte de la suprématie commerciale et maritime (XVIe siècle-1797) |
L'historien Fernand Braudel apporte les deux raisons qui expliquent le déclin de la République à partir du XVIe siècle : « Ce qui a eu raison de Venise, ce sont les routes du monde qui se déplacent lentement de la Méditerranée à l'Atlantique ; ce sont les États nationaux qui grandissent. Dès le XVIe siècle, Venise se heurte à ces corps épais : l'Espagne, la France, l'une et l'autre avec des prétentions impériales ; plus encore surgit l'Empire turc, colosse d'un autre âge, mais colosse, contre lequel elle s'épuisera »[6].
La première raison, la remise en cause des anciennes routes commerciales, intervint dès la fin du XVe siècle lorsque, d'une part, Christophe Colomb aborda l'Amérique et quand, d'autre part, Vasco de Gama doubla le cap de Bonne-Espérance et atteint les Indes en 1498. De nouveaux espaces et de nouveaux itinéraires prometteurs s'ouvraient ainsi pour les armateurs et les marchands. En contournant l'Afrique, la route du cap de Bonne Espérance permettait aux Européens d'aller chercher soieries et épices d'Orient sans passer par l'habituel intermédiaire vénitien. Venise, comme le reste de la Méditerranée, se trouvait marginalisée et vit son trafic diminuer. Toutefois, la croissance de la consommation mondiale permit à la République de retrouver son niveau de commerce dans les années 1560. Un retour qui ne doit masquer le fait qu'elle n'était plus le plus grand port européen. Elle ne récupéra jamais sa position dominante d'autant plus qu'à partir de la fin du XVIe siècle, les Nordiques (Anglais et Hollandais) s'ingérèrent dans le commerce méditerranéen et le détournèrent à leur profit.
La seconde raison du déclin vénitien réside dans sa confrontation aux grands États voisins. La république de Venise, en dépit de sa richesse et de son éclat culturel, pesait politiquement et militairement peu face à la France ou à l'Espagne. Mais ce qui lui causa le plus de soucis vint de l'affaiblissement de l'Empire byzantin suite au détournement par les vénitiens de la quatrième croisade sur Constantinople : ce fut l'expansion de l'Empire ottoman, qui enleva les uns après les autres les comptoirs vénitiens sur les routes du Levant ainsi que les îles grecques. En 1571, les Vénitiens fournirent environ la moitié des navires de la flotte chrétienne qui défia les Ottomans. Ce fut la victoire de Lépante (1571). Malgré ce succès, Venise continua à perdre du terrain. Un an après Lépante, elle dut abandonner Chypre et, en 1669, Candie. En 1718, la paix de Passarovitz entérinait la perte du royaume de Morée (en) que la République avait réussi temporairement à conquérir en 1687.
Le patriciat de Venise avait en conséquence recomposé son fondement économique. L'exploitation agricole de la Terre Ferme (en) (soie, riz, chanvre, élevage de moutons) attira les capitaux jusque-là investis dans le commerce lointain.
Malgré ce contexte difficile, compliqué par les épidémies de peste à la fin du XVIe siècle, l'État était tolérant dans le domaine de la religion ; exempt de tout fanatisme, il ne procéda à aucune exécution pour hérésie pendant les années de la Contre-Réforme, si bien que la population resta majoritairement catholique.
Face à la menace ottomane, Venise dut s’allier à l’Autriche, qui était devenue la principale puissance en Italie du Nord. Son économie fut rudement secouée par les guerres. Après environ un millénaire d'indépendance, la république de Venise fut occupée par les troupes de Napoléon Bonaparte le 12 mai 1797 au terme de la campagne d'Italie. L'invasion des Français mit ainsi un terme aux libertés politiques des patriciens vénitiens, mais le rayonnement culturel de la cité des Doges ne pâlit pas : elle resta une ville européenne élégante et raffinée, avec une forte influence sur l'art, l'architecture et la littérature.
Le traité de Campo-Formio signé le 18 octobre 1797 entre la France et l’empire d'Autriche, livre l’ex-« sérénissime république » à ce dernier, qui la transforme aussitôt en une Province vénitienne d'Autriche.
Il a existé une éphémère république de Saint-Marc en 1848-1849 créée par l'insurrection de la ville contre le joug autrichien.
Institutions |
Le système de gouvernement de cet État, relativement original pour l'époque, était la république. Mais une république oligarchique, comme Florence, les villes libres d'Empire, les Provinces-Unies, et la Confédération suisse. Les grandes familles de la ville, représentées au Grand Conseil, élisaient le doge (duc) qui conduisait la politique sa vie durant. Les Vénitiens ont élaboré au cours des siècles une organisation institutionnelle originale et très complexe visant, d'une part à concentrer les pouvoirs entre un nombre restreint (42 en tout) de familles patriciennes d'ancienne origine, d'autre part à éviter toute évolution vers un système de type monarchique, malgré la prééminence d'un personnage, le doge, qui symbolisait le pouvoir de l'État et représentait la Sérénissime République.
Le concio |
À l'origine, le concio, assemblée populaire vénitienne (équivalente à l'arengo des autres cités italiennes à la même époque), avait le pouvoir législatif et elle élisait le doge, chef de l'État investi des pouvoirs exécutif et judiciaire. Au concio, se substitua progressivement le « Grand Conseil ».
Le concio fut réuni en 1380 lors de la bataille de Chioggia. Venise n'avait pas encore connu la forte expansion démographique du siècle suivant, mais l'une des deux grandes phases d'agrandissement de l'arsenal avait déjà eu lieu, au début du XIIIe siècle.
Grand Conseil |
Le Grand Conseil (Maggior Consiglio en italien) — autorité suprême — se substitua à l'assemblée populaire appelée concio. De lui émanaient toutes les autres institutions : leur multiplication et l'enchevêtrement des compétences favorisèrent la collégialité des décisions mais aussi la surveillance réciproque. Il était composé des hommes de plus de 25 ans, membres des familles patriciennes[7] inscrites au Livre d'or (Libro d'Oro) répertoriant l'ensemble de la noblesse vénitienne. Le patriciat étant titre strictement héréditaire, être admis en son sein, était totalement impossible pour tout roturier vénitien. Épouser une roturière excluait même un patricien de ses droits d'accès au Grand Conseil. L'aristocratie vénitienne se composait surtout d'armateurs, de négociants et de banquiers, dont les revenus se fondaient plus sur le commerce que sur la terre. Par la Serrata del Consiglio (littéralement « verrouillage du conseil ») en 1297, l'accès au Grand Conseil fut restreint à ceux dont les ancêtres en avaient été déjà membres.
Réuni tous les dimanches, le Grand Conseil prenait les décisions politiques, promulguait les lois et choisissait les hauts magistrats. La tendance à déléguer les pouvoirs d'un corps nombreux à une commission restreinte de spécialistes fut une caractéristique durable de l'organisation de cette république oligarchique.
Sénat |
Organe législatif composé de 120 à 250 membres maximum, le Sénat était chargé de la politique extérieure et de la nomination des ambassadeurs. Les ambassadeurs vénitiens de cette époque ont envoyé des rapports secrets sur la politique et les rumeurs circulant dans les cours européennes, ce qui a constitué une mine d'information pour les historiens modernes.
Le Doge |
Le chef de l'exécutif portait le titre de doge (« duc »). Il était théoriquement élu à vie. Le caractère viager devait se perpétuer sans changement au cours des siècles alors que le doge perdait peu à peu tout pouvoir personnel. La fonction de doge était dévolue à un membre d'une famille patricienne choisie dans un cercle restreint, mais la transmission n'en devint jamais héréditaire malgré les tentatives de quelques-uns. Celles-ci aboutirent d'ailleurs à faire évoluer le mode de désignation du doge de manière à exclure toute possibilité de transmission héréditaire ou d'accaparement par des factions. Par la suite, les doges démissionnèrent assez souvent pour se retirer dans une vie monastique, sous la pression des oligarques, quand ils étaient discrédités par leur action politique.
Le Collège suprême |
Composé du doge, de ses six conseillers, du chancelier et du président du Conseil des Dix, le Collège suprême était l'organe suprême de la République.
Le Collège |
Assemblée des principaux membres de l'État, composé de 26 nobles :
- la seigneurie de Venise :
- le doge et ses six conseillers ;
- trois députés de la Quarantie Criminelle : les Capi di Quaranta (changés tous les deux mois) ;
- six sages-grands issus du Sénat ;
- cinq sages dits de Terre Ferme qui régissent les affaires de terre ferme ;
- cinq sages des Ordres, qui régissent les affaires de mer.
Toutes les requêtes et mémoires sont introduits au Collège, qui les distribue aux autres conseils et au Sénat. Le Collège rend alors la réponse du Sénat par écrit (la Parte).
Conseil des Dix |
Créé en 1310 à titre provisoire, puis rendu définitif en 1335, le Conseil des Dix est une institution judiciaire destinée à sanctionner les complots ourdis contre la République. Constitué en réalité de 17 membres, il disposait de pouvoirs particulièrement étendus, lui permettant même de destituer le doge.
Territoires ultramarins |
Au cours des siècles, Venise a occupé de nombreux territoires du bassin de l'Adriatique et la Méditerranée orientale, avec une prédilection pour les îles et les ports pouvant servir ses intérêts commerciaux. Telles des colonies d'exploitation, ces territoires la ravitaillaient en vin, en céréales, en fruits, en miel, en bois et matériaux de construction. On distingue deux groupes dans cet empire vénitien dont les limites ont souvent varié[8] :
Les possessions de Venise |
Le golfe correspond à l'Adriatique. Du IXe au XIe siècle, Venise poursuivit l'objectif de dominer tous les rivages de cette mer car elle avait conscience des risques d'asphyxie pour son commerce si un ennemi avait l'idée de barrer le golfe. Firent partie de ses possessions, pas toujours en même temps :
Trieste et l'Istrie ;
Zara ;
Raguse, qui affirmera ensuite son indépendance ;
Spalato.
« Sans doute ces cités ne reconnurent-elles jamais à Venise qu'une souveraineté lointaine »[8]. Mais ce qui importait aux Vénitiens, c'était d'obliger tous les trafics adriatiques à transiter par le port de Venise. La flotte de la Sérénissime était là pour rappeler à l'ordre les cités récalcitrantes à ce monopole commercial.
Les possessions du Levant |
La quatrième croisade renforça la première extension de Venise en direction de l'Orient grec. Grâce à l'aide logistique apportée aux croisés, les Vénitiens participèrent au dépouillement de l'Empire byzantin en 1204. Ils reçurent notamment des ports dans le sud du Péloponnèse, des places en Eubée, les positions de Gallipoli et de Rodosto sur les détroits, la Crète, les trois-huitièmes de Constantinople enfin, avec la basilique Sainte-Sophie. La restauration de l'Empire byzantin en 1261 élimina les Vénitiens de quelques-uns de ces territoires. Mais les débouchés méditerranéens de la route de la Soie, jadis sources de richesse pour Byzance, restèrent entre leurs mains et celles des Génois.
Au début du XVe siècle, la République possédait :
- les îles Ioniennes, dont Corfou ;
Parga ;- la Crète (ou « Candie »), achetée au marquis de Montferrat. Escale très importante sur la route de Chypre, de Beyrouth ou d'Alexandrie ;
Coron et Modon, « les yeux de la République » à l'extrême sud du Péloponnèse ;- l'Eubée (ou « Négrepont ») ;
Chypre, où Venise avait succédé aux Lusignan ;
Lajazzo ;
Acre.
Cet ensemble formait des escales, des places stratégiques sur la route de Constantinople, de la mer Noire, de la Syrie ou de l'Égypte.
Les possessions en 1797 |
À sa chute en 1797, la république de Venise comprenait les provinces suivantes :
- le Dogado (« État du doge ») ou « duché de Venise » (La ville de Venise et une petite emprise sur la terre ferme) ;
Domini di Terraferma (« domaines de terre ferme ») |
- Le Padouan (Padoue, Bassano, Abano, Este) ;
- la Polésine de Rovigo ;
- le Véronais (Vérone, Peschiera) ;
- le Vicentin (Vicence, Asiago) ;
- le Bressan (Brescia, Salò, Lonato, Chiari) ;
- le Bergamasque (Bergame) ;
- le Crémasque (Crema) ;
- la Marche Trévisane (subdivisée en Trévisan, Feltrin, Bellunais et Cadorin) ;
- le Frioul (Udine, Sacile, Pordenone) ;
De 1805 à 1814, les provinces du Domini di Terraferma furent englobées dans le royaume d'Italie et formèrent les départements de l'Adriatique, de la Brenta, du Bacchiglione, de l'Adige, du Serio, de la Mella, du Tagliamento, de la Piave et du Passeriano.
Stato da Màr (« État de la Mer ») |
- L'Istrie (Pola, Capo d'Istria) ;
- sur la côte de Dalmatie : Nona, Zara, Trau, Spalato, Sebenico, Clissa, Cettigne, Signia, l'Herzégovine, Cattaro ;
- les îles dalmates depuis Osera jusqu'à Curzola ;
- en Albanie vénitienne : Parga, Preveza, Vonitsa, Butrinto ;
- les îles Ioniennes
Ces provinces sont partagées en 1797 par le traité de Campo-Formio :
- les trois premières sont cédées à l'Autriche. Celle-ci les cède en 1805 par le traité de Presbourg. Elles sont d'abord administrées par le royaume d'Italie, mais sont intégrées aux Provinces illyriennes françaises lors de leur création en 1809 ;
- les îles Ioniennes et les possessions continentales adjacentes formèrent d'abord trois départements français de Grèce, conquis en 1799 par une flotte russo-turque. Une république des Sept-Îles est alors formée sous la protection de la Russie et de l'Empire ottoman, puis en 1807 de la France, avant de devenir la république des îles Ioniennes sous le protectorat du Royaume-Uni à partir de 1814.
Postérité |
Même si la vitalité économique de la république de Venise avait commencé à décliner depuis le XVIe siècle en raison du déplacement du commerce international vers l'Atlantique, son régime politique apparaissait encore au XVIIIe siècle comme un modèle pour les philosophes des Lumières.
Jean-Jacques Rousseau fut embauché en juillet 1743 comme secrétaire par Pierre François, comte de Montaigu, qui venait d'être nommé ambassadeur de la France à Venise. Son arrogance le fit congédier un peu plus d'un an après et il revint à Paris en octobre 1744. Cette courte expérience éveilla néanmoins l'intérêt de Rousseau pour la politique, qui le poussa à concevoir un projet de grand ouvrage de philosophie politique[9]. Après le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755), il publia Du contrat social (1762), qui eut une influence considérable dans l'histoire des idées politiques aux XIXe et XXe siècles.
Notes et références |
Fernand Braudel, « La mer », Fernand Braudel (dir.), La Méditerranée. L'espace et l'histoire. Les hommes et l'héritage, Paris, Flammarion, France Loisirs, p. 66.
Daniel Hugenin et Erich Lessing, La Gloire de Venise, Terrail, 1993 (ISBN 2-87939-094-X).
Jacques Attali, Une brève histoire de l'avenir, éditions fayard, 2006.
De 1404 à 1406, Padoue, Vicence, Vérone et d'autres villes se joignirent à Trévise pour former un nouveau stato da terra à l'ouest pour contrebalancer le stato da mar à l'est. Dans Patricia Fortini Brown, La Renaissance à Venise, Paris, Flammarion, 2008, 174 p. (ISBN 9782081216969), p. 12.
Patrick Boucheron, « 1509. Louis XII est vainqueur à Agnadel », Alain Corbin (dir.), 1515 et les grandes dates de l'histoire de France, Le Seuil, France Loisirs, p. 165-169.
Fernand Braudel, « Venise », Fernand Braudel (dir.), La Méditerranée. L'espace et l'histoire. Les hommes et l'héritage, Paris, Flammarion, France Loisirs, p. 317.
Bien qu'égaux entre eux au sens politique ils étaient tout à fait inégaux en termes de fortune. Ils comprenaient des personnes très riches et d'autres au bord de la misère. Et représentaient à peu près cinq pour cent de la population à la fin du Quattrocento. : Patricia Fortini Brown, La Renaissance à Venise, Paris, Flammarion, 2008, 174 p. (ISBN 9782081216969), p. 34.
« L'empire vénitien ». Article de Élisabeth Crouzet-Pavan sur clio.fr.
Raymond Trousson, Jean-Jacques Rousseau, Tallandier, p. 452.
Voir aussi |
Bibliographie |
- Luigi Tomaz, In Adriatico nell'antichità e nell'alto medioevo, Presentazione di Arnaldo Mauri, Think ADV, Conserve 2001.
- Luigi Tomaz, Il confine d'Italia in Istria e Dalmazia. Duemila anni di storia, Presentazione di Arnaldo Mauri, Think ADV, Conselve 2007.
- Luigi Tomaz, In Adriatico nel secondo millennio, Presentazione di Arnaldo Mauri, Think ADV, Conselve, 2010.
Sources |
Freddy Thiriet, Histoire de Venise, Paris, « Que sais-je ? » PUF, 1952.
André Zysberg et René Burlet, Venise, la Sérénissime et la mer, Paris, Gallimard, coll. « Découvertes Gallimard / Histoire » (no 396), 2006(ISBN 2070535193).- Élisabeth Crouzet-Pavan, Venise triomphante. Les horizons d'un mythe, Paris, Albin Michel, 1999.
- Jean-Claude Hocquet, Venise au Moyen Âge, Paris, Belles lettres, 2003.
- Bernard Doumerc, Venise et son empire en Méditerranée : IXe-XVe siècle, Paris, Ellipses, 2012.
Articles connexes |
- Empire byzantin
- Annonaria
- Thème de Dalmatie
- Venetikà
- Venise maritime
- Exarchat d'Italie
- Duché de Venise
- Chronologie de Venise
- Histoire de Venise
- Histoire économique de la République de Venise
- Guerres ottomanes en Europe
- Zecca
- Ducat
- Sequin
- Peggio
- Magistrat des eaux
Liens externes |
Les institutions de la république de Venise sur vivre-venise.com.
« L'empire vénitien ». Article de Élisabeth Crouzet-Pavan sur clio.fr.
Julien Théry, « Venise : naissance d'une grande puissance », dans Histoire & civilisations, 3, février 2015, p. 34-45, disponible en ligne.
Venise La Sérénissime.
Textes pour l'histoire de Venise.
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