Trois Glorieuses
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La Liberté guidant le peuple, tableau d'Eugène Delacroix (1830).
Date | 27, 28, 29 juillet 1830 |
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Lieu | Paris |
Casus belli | Ordonnances de Saint-Cloud |
Issue | Victoire des Libéraux
|
Royaume de France | Libéraux
|
• Charles X • Louis de France • Auguste de Marmont | • Gilbert du Motier de La Fayette • Maurice Gérard • Jacques Laffitte • Casimir Perier • Pierre-François Audry de Puyraveau • Auguste de Schonen • François Mauguin • Georges Mouton |
8 000 hommes | 20 000 à 30 000 hommes |
163 morts 578 blessés[1] | 788 morts 4 500 blessés[1] |
Batailles
.mw-parser-output .sep-liste{font-weight:bold}Trois Glorieuses · Révolte des canuts · Insurrection républicaine à Paris en juin 1832 · Guerre de Vendée et Chouannerie de 1832 · Révolution française de 1848 · Journées de Juin · Coup d'État du 2 décembre 1851 · Commune de Paris · Semaine sanglante
La révolution de Juillet est la deuxième révolution française après la Révolution française de 1789. Elle porte sur le trône un nouveau roi, Louis-Philippe Ier, à la tête d'un nouveau régime, la monarchie de Juillet, qui succède à la Seconde Restauration. Cette révolution se déroule sur trois journées, les 27, 28 et 29 juillet 1830, dites « Trois Glorieuses ».
Après une longue période d’agitation ministérielle, parlementaire et journalistique, le roi Charles X tente par un coup de force constitutionnel de freiner les ardeurs des députés libéraux par ses ordonnances de Saint-Cloud du 25 juillet 1830. En réponse, des Parisiens se soulèvent, dressent des barricades dans les rues, et affrontent les forces armées, commandées par le maréchal Marmont, au cours de combats qui font environ 200 morts chez les soldats et près de 800 chez les insurgés[2],[N 1]. L'émeute se transforme rapidement en insurrection révolutionnaire.
Charles X et la famille royale fuient alors Paris. Les députés libéraux, majoritairement monarchistes, prennent en main la révolution populaire. Au terme de l’« hésitation de 1830 », ils optent finalement pour une monarchie constitutionnelle plus libérale à l'aide d'un changement de dynastie.
La maison d’Orléans, branche cadette de la maison de Bourbon, succède ainsi à la branche aînée ; le duc d'Orléans est proclamé « roi des Français » et non plus « roi de France », sous le nom de Louis-Philippe Ier.
Sommaire
1 Causes
1.1 Raidissement de Charles X : constitution du ministère Polignac
1.2 Adresse des 221
1.3 Conséquences de la décision de Charles X
1.4 Ordonnances du 25 juillet 1830
2 Révolution de Juillet
2.1 26 juillet : début de la révolte
2.2 27 juillet : de l’émeute à l’insurrection
2.3 28 juillet : révolution populaire
2.4 29 juillet : triomphe de l’insurrection
2.5 30 et 31 juillet : récupération bourgeoise
2.5.1 30 juillet : élimination de Charles X et de l’option républicaine
2.5.2 31 juillet : arrivée de Louis-Philippe
3 Conséquences
3.1 En France
3.2 En Europe
3.2.1 En Allemagne
3.2.2 En Italie
3.2.3 En Belgique
3.2.4 En Europe de l'Est
3.3 Synthèse
4 Postérité
5 Notes et références
5.1 Notes
5.2 Références
6 Annexes
6.1 Sources primaires
6.2 Bibliographie
6.3 Articles connexes
6.4 Liens externes
Causes |
Lors des élections de 1827, les libéraux deviennent majoritaires à l'Assemblée, et Charles X consent[N 2] à nommer un Premier ministre à mi-chemin entre ses opinions ultra et l'orientation de la nouvelle chambre. Il appelle le vicomte de Martignac à former un ministère semi-libéral, semi-autoritaire. Mais, continuant sur sa lancée, l'opposition libérale grandit et s’affirme.
Raidissement de Charles X : constitution du ministère Polignac |
Constatant l'échec de cette tentative de compromis, Charles X prépare, en sous-main, un revirement de politique : pendant l’été 1829, alors que les Chambres sont en vacances, il renvoie subitement le vicomte de Martignac et le remplace par le prince de Polignac. Publiée dans Le Moniteur le 8 août, la nouvelle fait l’effet d’une bombe parmi les libéraux. Le nouveau ministre des Affaires étrangères, qui apparaît rapidement comme le chef du ministère, évoque les pires souvenirs de la cour de Versailles — il est le fils de l’amie intime de Marie-Antoinette, la très impopulaire duchesse de Polignac — et de l’émigration, durant laquelle il a été le compagnon de Charles X en Angleterre. À ses côtés, le comte de La Bourdonnaye, ministre de l’Intérieur, est un ultra, qui s’est signalé en 1815 en réclamant « des supplices, des fers, des bourreaux, la mort, la mort » pour les complices de Napoléon Ier durant les Cent-Jours, tandis que le ministre de la Guerre, le général de Bourmont, est un ancien chouan rallié à l'Empereur l'ayant trahi quelques jours avant la bataille de Waterloo.
L’opposition pousse des clameurs indignées :
« Coblentz, Waterloo, 1815 : voilà les trois principes, voilà les trois personnages du ministère. Tournez-le de quelque côté que vous voudrez, de tous les côtés il effraie, de tous les côtés il irrite. Pressez, tordez ce ministère, il ne dégoutte qu’humiliations, malheurs et chagrins[3]. »
Bertin aîné, partisan d'une monarchie constitutionnelle à l'anglaise et directeur du Journal des débats publie un article célèbre qui se termine par la formule : « Malheureuse France ! Malheureux roi ! », où il stigmatise « la cour avec ses vieilles rancunes, l’émigration avec ses préjugés, le sacerdoce avec sa haine de la liberté »[N 3].
Il y a, dans cette véhémence, une part de mise en scène. Polignac, présenté comme un bigot fanatique[N 4] obsédé par le droit divin des rois, s'est en réalité toujours déclaré favorable à une monarchie constitutionnelle, dont il considère qu'elle n’est toutefois pas compatible avec une liberté de la presse sans limite ni mesure. Plusieurs ministres importants — Courvoisier à la Justice, Baron de Montbel à l’Instruction publique, Chabrol de Crouzol aux Finances, le baron d’Haussez à la Marine — sont plutôt libéraux[N 5]. Lorsque La Bourdonnaye démissionne le 18 novembre quand Polignac accède à la présidence du Conseil, il est remplacé par Baron de Montbel, lui-même remplacé à l'Instruction publique par un magistrat libéral, le comte de Guernon-Ranville.
Rien ne permet d’affirmer que, comme l’a prétendu l’opposition, Charles X et Polignac aient voulu rétablir la monarchie absolue d’avant 1789. Tout indique au contraire que ce sont deux conceptions de la monarchie constitutionnelle, c’est-à-dire deux interprétations de la Charte de 1814, qui s’affrontent en 1829-1830. D’un côté le roi veut s’en tenir à une lecture stricte : pour lui, le monarque peut nommer les ministres de son choix et n’a à les renvoyer que dans les deux cas prévus par la Charte (trahison ou concussion). De l’autre côté, les libéraux voudraient faire évoluer le régime à l’anglaise, vers un parlementarisme que la Charte n’a pas explicitement prévu : ils estiment que le ministère doit avoir la confiance de la majorité de la Chambre des députés. Ce débat ne sera d’ailleurs pas tranché par la monarchie de Juillet.
Adresse des 221 |
Au début de 1830, le climat politique en France est électrique. L’opposition est chauffée à blanc par sa popularité croissante face aux maladresses du ministère. L’hiver 1829-1830 a été particulièrement rigoureux, les autres saisons plutôt pluvieuses[N 6]. 1830, comme 1827 et 1828 avant elle, est une année de médiocres récoltes impliquant des prix élevés pour les denrées et un report du pouvoir d'achat sur le pain. L'économie est morose. Des bandes de miséreux errent dans les campagnes. Des incendies d’origine inconnue, dont libéraux et ultras se rejettent mutuellement la responsabilité, plongent la Normandie dans la peur.
Adolphe Thiers, Armand Carrel, François-Auguste Mignet et Auguste Sautelet fondent un nouveau quotidien d’opposition, Le National, dont le premier numéro paraît le 3 janvier 1830. Ce journal d'opinion milite farouchement pour une monarchie parlementaire, et évoque ouvertement la « Glorieuse Révolution » anglaise de 1688, à l’issue de laquelle le roi Jacques II, incapable de comprendre les aspirations de son peuple, a été déposé et remplacé par sa fille, Marie, et l’époux de celle-ci, Guillaume d’Orange. D’autres journaux comme Le Globe et Le Temps relaient ces attaques, de plus en plus ouvertes, contre le roi et le gouvernement, tandis que Le Constitutionnel et le Journal des débats défendent eux aussi, mais avec plus de mesure, les idées libérales.
Le 2 mars 1830, lors de l’ouverture de la session parlementaire, Charles X prononce un discours du trône dans lequel il annonce l’expédition militaire d’Alger et menace implicitement l’opposition de gouverner par ordonnances en cas de blocage des institutions[N 7]. Commençant à délibérer, la Chambre établit la liste des cinq noms qu’elle propose au roi pour la présidence : Royer-Collard, qui est nommé, suivi de Casimir Perier, Delalot, Agier et Sébastiani[N 8]. Les députés abordent ensuite la discussion du projet d’adresse élaboré par la commission nommée à cet effet, et qui est examiné les 15 et 16 mars.
Le projet est une véritable motion de défiance à l’encontre du ministère :
« Sire, la Charte que nous devons à la sagesse de votre auguste prédécesseur, et dont Votre Majesté a la ferme volonté de consolider le bienfait, consacre comme un droit l’intervention du pays dans la délibération des intérêts publics. Cette intervention devait être, elle est, indirecte […], mais elle est positive dans son résultat, car elle fait du concours permanent des vues politiques de votre gouvernement avec les vœux de votre peuple la condition indispensable de la marche régulière des affaires politiques. Sire, notre loyauté, notre dévouement nous condamnent à vous dire que ce concours n’existe pas. »
Deux cent vingt-et-un députés libéraux votent l’Adresse le 16 mars. Le 18 mars, à la délégation de la Chambre venue au palais des Tuileries lui en donner lecture, Charles X répond avec suffisance que « [ses] résolutions sont immuables ». Le lendemain, une ordonnance ajourne la session au 1er septembre, ce qui met le Parlement en vacances pour six mois[N 9]. À ce moment, le roi est déterminé à aller jusqu’au bout : « J’aime mieux monter à cheval qu’en charrette », dit-il[N 10].
Conséquences de la décision de Charles X |
La décision de Charles X suscite une véritable ébullition. Des rumeurs folles circulent. On accuse le roi et ses ministres de préparer un coup de force constitutionnel. D’autres affirment que Polignac, ancien ambassadeur à Londres et ami du Premier ministre britannique, le duc de Wellington, envisage, en cas de troubles en France, de solliciter, avec l’appui de l’Angleterre, celui des puissances étrangères dans le cas où le roi serait conduit à suspendre ou à modifier certaines dispositions de la Charte.
En avril 1830, le comte de Montlosier publie un opuscule intitulé Le Ministère et la Chambre des députés, dans lequel il soutient que, si les droits du roi sont incontestables s’agissant du choix des ministres : « jusqu’ici seulement, ces droits s’étaient exercés à l’égard des chambres dans une mesure de conciliation et de bonté » et avec des « procédés d’égard et de ménagement, consacrés dans toute espèce de gouvernement constitutionnel », de sorte que « si le roi a le droit de choisir ses ministres, ce n’est pas contester la légalité que de contester la convenance »[4]. Il suggère que le « parti prêtre » pourrait pousser le roi à légiférer par ordonnances sur le fondement de l’article 14 de la Charte pour imposer des « élections jésuitiques » au nom de la sûreté de l’État, et invoque, en pareille hypothèse, un devoir de désobéissance qui n’est pas sans rappeler le droit à l’insurrection consacré par le préambule de la Constitution montagnarde de 1793 : « Si par quelque artifice on venait à tromper en ce point la religion et la volonté [du roi], on n’obéirait pas. La désobéissance dans ce cas sauverait l’État et la royauté »[5].
Au Palais-Royal, Vatout, bibliothécaire et familier du duc d’Orléans, conseille à son maître d’exploiter la situation à son profit. Nombre des familiers du Palais-Royal – le général Gérard, Thiers, Talleyrand… – sont déjà persuadés que les Bourbons de la branche aînée sont perdus. Mais Louis-Philippe tergiverse. En mai, il reçoit à Paris son beau-frère et sa belle-sœur le roi François des Deux-Siciles et la reine Marie-Isabelle. C’est en l’honneur des souverains napolitains que, le 31 mai, une fête somptueuse est donnée au Palais-Royal où, fait exceptionnel, Charles X fait une apparition. Alors que le roi est déjà reparti, une foule envahit les jardins qu’on a laissés ouverts. Le duc d’Orléans paraît à plusieurs reprises au balcon et se fait acclamer par cette foule d'où ne tardent pas à monter des cris hostiles au roi et à Polignac. La manifestation dégénère, on met le feu aux chaises du jardin, un début d’émeute dont la cour rend Louis-Philippe responsable. Le jeune comte de Salvandy, assistant à cette fête où « les cris de révolte se marient à la musique des contredanses et des valses », selon la formule du comte Apponyi[6], adresse au maître de maison le mot fameux, aussitôt répété dans tout Paris : « Voilà, Monseigneur, une fête toute napolitaine : nous dansons sur un volcan ! »[N 11].
Le 16 mai 1830, alors qu’un corps expéditionnaire français est prêt à partir à la conquête d’Alger, Charles X dissout la Chambre des députés et convoque les collèges d’arrondissement le 23 juin et ceux de département le 3 juillet. Dans l’immédiat, la décision du roi provoque l’éclatement du ministère : Courvoisier et Chabrol de Crouzol, qui y sont hostiles, démissionnent, tandis que Chantelauze est nommé à la Justice et que Montbel, passé aux Finances, est remplacé à l'Intérieur par un ultra notoire, le comte de Peyronnet. Un préfet spécialiste des élections, le baron Capelle, entre dans le cabinet, officiellement à la tête d’un ministère des Travaux publics qui fait ainsi son apparition dans l’organigramme gouvernemental.
Le 13 juin, Charles X publie au Moniteur un appel aux Français dans lequel il accuse les députés de la Chambre dissoute « d’avoir méconnu ses intentions » et demande aux électeurs « de ne pas se laisser égarer par le langage insidieux des ennemis de leur repos », de « repousser d’indignes soupçons et de fausses craintes qui ébranleraient la confiance publique et pourraient exciter de graves désordres » ; il conclut : « C’est votre roi qui vous le demande. C’est un père qui vous appelle. Remplissez vos devoirs, je saurai remplir les miens. » La manœuvre est hasardeuse car, ce faisant, le roi s’est exposé lui-même, prenant le risque du désaveu.
Les élections sont une déroute pour le roi : l’opposition passe de 221 à 270 députés, les ministériels ne sont plus que 145 contre 181, et 13 députés sont revendiqués par les deux camps.
Ordonnances du 25 juillet 1830 |
Lors du conseil des ministres du 6 juillet, Polignac constate que le gouvernement par ordonnances, sur la base de l’article 14 de la Charte, envisagé de longue date, est désormais le seul recours. Malgré les réserves de Guernon-Ranville, Charles X tranche en ce sens dès le lendemain. Les principales mesures sont d’ores et déjà arrêtées : nouvelle dissolution de la Chambre des députés, modification de la loi électorale, organisation de nouvelles élections, suspension de la liberté de la presse. Pour Charles X, la gauche, en harcelant le ministère, veut renverser la monarchie : il ne saurait donc être question pour lui de renvoyer le cabinet et le gouvernement par ordonnances est le seul moyen de maintenir la Charte[N 12].
Le lendemain, 9 juillet, arrive à Paris la nouvelle de la prise d’Alger. Cette gloire militaire, qui vient auréoler un régime à bout de souffle, conforte le roi[N 13] dans ses intentions. Mais elle lui aliène l’Angleterre, d’autant que Charles X fait répondre avec hauteur aux demandes d’éclaircissements adressées par le cabinet britannique, et ce soutien lui manque lors des journées de Juillet.
À partir du 10 juillet, le roi et les ministres préparent les ordonnances dans le plus grand secret. Même le préfet de police et les autorités militaires ne sont pas mis dans la confidence, si bien que rien n’est organisé pour maintenir l’ordre dans la capitale[N 14].
L’opposition libérale, qui se doute qu’un coup de force se prépare, redoute une insurrection populaire qu’elle n’est pas certaine de pouvoir maîtriser. La grande majorité des députés libéraux, issus de l’aristocratie ou de la bourgeoisie aisée, ne sont nullement démocrates. Le 10 juillet, une quarantaine de députés et de pairs, réunis chez le duc de Broglie, décident qu’en cas de reformes de la part du roi, ils refuseraient le vote du budget. Parallèlement, des discussions sont engagées avec l’entourage de Charles X par l’intermédiaire d’un de ses familiers, Ferdinand de Bertier de Sauvigny. Les députés proches du Palais-Royal pourraient accepter le maintien de Polignac, des modifications de la loi électorale et du régime de la presse, moyennant l’entrée dans le cabinet de trois ministres libéraux dont Casimir Perier et le général Sébastiani. Mais ces discussions tournent court : Polignac, las des intrigues de l'opposition, préfère refuser.
Le duc d’Orléans, de son côté, passe l’été dans son château de Neuilly, où il s’est installé avec sa famille le 9 juillet. Il fait l’indifférent et attend son heure. Le marquis de Sémonville, grand référendaire de la Chambre des pairs, vient lui rendre visite le 21 juillet et lui fait des ouvertures précises :
– La couronne ? Jamais, Sémonville, à moins qu’elle ne m’arrive de droit !
– Ce sera de droit, Monseigneur, elle sera par terre, la France la ramassera et vous forcera à la porter[7].
La journée du 25 juillet est marquée par des manifestations sur les grands boulevards et même une émeute contre le corps de garde de la Bourse, au palais Brongniart[8] qui dégénère en incendie du corps de garde en planches. Le 25 juillet à onze heures du soir, le garde des sceaux, Chantelauze, remet les ordonnances[N 15] au rédacteur en chef du Moniteur pour qu’elles soient imprimées dans la nuit et publiées au matin du lundi 26 :
- la première ordonnance suspend la liberté de la presse et soumet toutes les publications périodiques à une autorisation du gouvernement ;
«
Charles, etc.,
A tous ceux qui ces présentes verront, salut.
Sur le rapport de notre conseil des ministres, Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :
Article 1 : La liberté de la presse périodique est suspendue.
Article 2 : Les dispositions des articles 1, 2 et 9 du titre Ier de la loi du 21 octobre 1814, sont remises en vigueur.
En conséquence, nul journal et écrit périodique ou semi-périodique, établi ou à établir, sans distinction des matières qui y sont traitées, ne pourra paraître, soit à Paris, soit dans les départements, qu'en vertu de l'autorisation qu'en auront obtenue de nous séparément les auteurs et l'imprimeur.
Cette autorisation devra être renouvelée tous les trois mois.
Elle pourra être révoquée.
Article 3 : L'autorisation pourra être provisoirement accordée et provisoirement retirée par les préfets aux journaux et ouvrages périodiques ou semi-périodiques publiés ou à publier dans les départements.
Article 4 : Les journaux et écrits publiés en contravention à l'article 2 seront immédiatement saisis.
Les presses et caractères qui auront servi à leur impression seront placés dans un dépot public et sous scellés, ou mis hors de service.
Article 5 : Nul écrit au-dessous de vingt feuilles d'impression ne pourra paraître qu'avec l'autorisation de notre ministre secrétaire d'état de l'intérieur, à Paris, et des préfets dans les départements.
Tout écrit de plus de vingt feuilles d'impression qui ne constituera pas un même corps d'ouvrage sera également soumis à la nécessité de l'autorisation.
Les écrits publiés sans autorisation seront immédiatement saisis.
Les presses et caractères qui auront servi à leur impression seront placés dans un dépôt public et sous scellés, ou mis hors de service.
Article 6 : Les mémoires sur procès et les mémoires des sociétés savantes mis à l'autorisation préalable s'ils traitent en tout ou partie de matières politiques, cas auquel les mesures prescrites par l'article 5 leur seront applicables.
Article 7 : Toute disposition contraire aux présentes restera sans effet.
Article 8 : L'exécution de la présente ordonnance aura lieu en conformité de l'article 4 de l'ordonnance du 27 novembre 1816, et de ce qui est prescrit par celle du 18 janvier 1817.
Article 9 : Nos ministres secrétaires d'état sont chargés de l'exécution des présentes.
Donné en notre château de Saint-Cloud, le 25 juillet de l'an de grâce mil huit cent trente, et de notre règne le sixième.
CHARLES
»
- la deuxième dissout la Chambre des députés alors que celle-ci vient d’être élue et ne s’est encore jamais réunie ;
«
Charles, etc.,
A tous ceux qui ces présentes verront, salut.
Vu l'article 50 de la Charte constitutionnelle,
Étant informé des manœuvres qui ont été prat1quées sur plusieurs points de notre royaume , pour tromper et égarer les électeurs pendant les dernières opérations des collèges électoraux,
.Notre Conseil entendu, Nous avons ordonné et ordonnons :
Article 1 : La Chambre des Députés des départements est dissoute.
Article 2 : Notre min1stre secrétaire d'état de l'intérieur est chargé de l'exécution de la présente ordonnance.
Donné en notre château de Saint-Cloud, le 25 juillet de l'an de grâce mil huit cent trente, et de notre règne le sixième.
CHARLES
»
- la troisième écarte la patente pour le calcul du cens électoral, de manière à écarter une partie de la bourgeoisie commerçante ou industrielle, d’opinions plus libérales, réduit le nombre des députés de 428 à 258 et rétablit un système d’élections à deux degrés dans lequel le choix final des députés procède du collège électoral de département, qui rassemble seulement le quart des électeurs les plus imposés de la circonscription ;
«
Charles, etc.,
A tous ceux qui ces présentes verront, salut.
Ayant résolu de prévenir le retour des manœuvres qui ont exercé une influence pernicieuse sur les dernières opérations des collèges électoraux;
Voulant en conséquence réformer, selon les principes de la Charte constitutionnelle, les règles d'élection dont l'expérience a fait sentir les inconvénients;
Nous avons reconnu la nécessité d'user du droit qui nous appartient de pourvoir par des actes émanés de nous, à la sûreté de l'état et à la répression de toute entreprise attentatoire à la dignité de notre couronne;
A ces causes, Notre Conseil entendu, Nous avons ordonné et ordonnons :
Article 1 : Conformément aux articles 15, 36, et 40 de la Charte constitutionnelle, la Chambre des Députés ne se composera que de Députés de département.
Article 2 : Le cens électoral et le cens d'éligibilité se composeront exclusivement des sommes pour lesquelles l'électeur et l'éligible seront inscrits personnellement, en qualité de propriétaire ou d'usufruitier, au rôle de l'imposition personnelle et mobilière.
Article 3 : Chaque département aura le nombre de Députés qui lui est attribué par l'article 36 de la Charte constitutionnelle.
Article 4 : Les Députés seront élus et la Chambre sera renouvelée dans la forme et pour le temps fixés par l'article 37 de la Charte constitutionnelle.
Article 5 : Les collèges électoraux se diviseront en collèges d'arrondissement et collèges de département.
Sont toutefois exceptés les collèges électoraux des départements auxquels il n'est attribué qu'un seul Député.
Article 6 : Les collèges électoraux d'arrondissement se composeront de tous les électeurs dont le domicile politique sera établi dans l'arrondissement.
Les collèges électoraux de département se composeront du quart le plus imposé des électeurs du département.
Article 7 : La circonscription actuelle des collèges électoraux d'arrondissement est maintenue.
Article 8 : Chaque collège électoral d'arrondissement élira un nombre de candidats égal au nombre des Députés de département.
Article 9 : Le collège d'arrondissement se divisera en autant de sections qu'il devra nommer de candidats.
Cette division s'opérera proportionnellement au nombre des sections et au nombre total des électeurs du collège, en ayant égard, autant qu'il sera possible, aux convenances des localités et du voisinage.
Article 10 : Les sections du collège électoral d'arrondissement pourront être assemblées dans des lieux différents.
Article 11 : Chaque section du collège électoral d'arrondissement élira un candidat et procèdera séparément.
Article 12 : Les présidents des sections du collège électoral d'arrondissement seront nommés par les préfets, parmi les électeurs de l'arrondissement.
Article 13 : Le collège de département élira les Députés.
La moitié des Députés du département devra être choisie dans la liste générale des candidats proposés par les collèges d'arrondissement.
Néanmoins, si le nombre des Députés du département est impair, le partage se fera sans réduction du droit réservé au collège du département.
Article 14 : Dans le cas où, par l'effet d'omissions, de nominations nulles ou de doubles nominations, la liste de candidats proposés par les collèges d'arrondissement serait incomplète, si cette liste est réduite au-dessous de la moitié du nombre exigé, le collège de département pourra élire un Député de plus hors de la liste; si la liste est réduite au-dessous du quart, le collège de département pourra élire hors de la liste la totalité des Députés du département.
Article 15 : Les préfets, les sous-préfets, et les officiers-généraux commandant les divisions militaires et les départements, ne pourront être élus dans les départements où ils exercent leurs fonctions.
Article 16 : La liste des électeurs sera arrêtée par le préfet en conseil de préfecture; elle sera affichée cinq jours avant la réunion des collèges.
Article 17 : Les réclamations sur la faculté de voter, auxquelles il n'aura pas été fait droit par les préfets, seront jugées par la Chambre des Députés, en même temps qu'elle statuera sur la validité des opérations des collèges.
Article 18 : Dans les collèges électoraux de département, les deux électeurs les plus âgés et les deux électeurs les plus imposés rempliront les fonctions de scrutateurs.
La même disposition sera observée dans les sections de collège d'arrondissement, composées de plus de cinquante électeurs.
Dans les autres sections de collège, les fonctions de scrutateurs seront remplies par le plus âgé et par le plus imposé des électeurs.
Le secrétaire sera nommé, dans le collège des sections de collège, par le président et les scrutateurs.
Article 19 : Nul ne sera admis dans le collège ou section de collège s'il n'est inscrit sur la liste des électeurs qui en doivent faire partie.Cette liste sera remise au président, et sera affichée dans le lieu des séances du collège pendant la durée de ses opérations.
Article 20 : Toute discussion et toute délibération quelconque seront interdites dans le sein des collèges électoraux.
Article 21 : La police du collège appartient au président. Aucune force armée ne pourra, sans sa demande, être placée auprès du lieu des séances. Les commandants militaires seront tenus d'obtempérer à ses réquisitions.
Article 22 : Les nominations seront faites dans les collèges et sections de collège, à la majorité absolue des votes exprimés.
Néanmoins, si les nominations ne sont pas terminées après deux tours de scrutin, le bureau arrêtera la liste des personnes qui auront obtenu le plus de suffrages au deuxième tour. Elle contiendra un nombre de noms double de celui des nominations qui resteront à faire. Au troisième tour, les suffrages ne pourront être donnés qu'aux personnes inscrites sur cette liste, et la nomination sera faite à la majorité relative.
Article 23 : Les électeurs voteront par bulletins de liste. Chaque bulletin contiendra autant de noms qu'il y aura de nominations à faire.
Article 24 : Les électeurs écriront leur vote sur le bureau, ou l'y feront écrire par l'un des scrutateurs.
Article 25 : Le nom, la qualification, et le domicile de chaque électeur qui déposera son bulletin, seront inscrits par le secrétaire sur une liste destinée à constater le nombre des votants.
Article 26 : Chaque scrutin restera ouvert pendant six heures, et sera dépouillé séance tenante.
Article 27 : Il sera dressé un procès-verbal pour chaque séance. Ce procès-verbal sera signé par tous les membres du bureau.
Article 28 : Conformément à l'article 46 de la Charte constitutionnelle, aucun amendement ne pourra être fait à une loi, dans la Chambre, s'il n'a été proposé ou consenti par nous, et s'il n'a été renvoyé et discuté dans les bureaux.
Article 29 : Toutes dispositions contraires à la présente ordonnance resteront sans effet.
Article 30 : Nos ministres secrétaires d'état sont chargés de l'exécution de la présente ordonnance.
Donné en notre château de Saint-Cloud, le 25 juillet de l'an de grâce mil huit cent trente, et de notre règne le sixième.
CHARLES
»
- la quatrième convoque les collèges électoraux pour septembre ;
- les cinquième et sixième procèdent à des nominations au Conseil d’État au profit d’ultras connus tel que le comte de Vaublanc par exemple[9].
Révolution de Juillet |
26 juillet : début de la révolte |
Le lundi 26 juillet, magnifique journée d’été, il fait une chaleur accablante. La publication des ordonnances créé la stupeur. L'opposition s’attendait à un coup de force, mais on n’imaginait pas que le roi agirait avant la réunion des Chambres prévue pour le 3 août. L’effet de surprise est donc total, alors que la plupart des opposants ne sont pas encore rentrés à Paris.
Dès le début de l’après-midi, les propriétaires du Constitutionnel organisent une réunion chez leur avocat, André Dupin, par ailleurs député libéral et avocat du duc d’Orléans. Y assistent quelques journalistes, dont Charles de Rémusat et Pierre Leroux du Globe, et des avocats comme Odilon Barrot et Joseph Mérilhou. Dupin estime que les ordonnances sont contraires à la Charte, donc illégales, mais, sur la suggestion de Rémusat de rédiger une protestation, il objecte que la réunion se tient dans son cabinet d’avocat et ne saurait donc prendre un tour politique. Rémusat et Leroux se rendent alors dans les bureaux du National où des journalistes sont réunis autour de Thiers, Mignet et Carrel. Le journal publie une édition spéciale appelant à la résistance par la grève de l’impôt. Thiers et Rémusat proposent d’élever une protestation solennelle qui est rédigée sur-le-champ et publiée le lendemain dans les journaux Le National, Le Globe et Le Temps. C'est la Protestation des 44 journalistes du 26 juillet 1830 :
« Le régime légal est […] interrompu, celui de la force est commencé. Dans la situation où nous sommes placés, l’obéissance cesse d’être un devoir. […] Aujourd’hui donc, des ministres criminels ont violé la légalité. Nous sommes dispensés d’obéir. Nous essaierons de publier nos feuilles sans demander l’autorisation qui nous est imposée. »
— Protestation des 44 journalistes du 26 juillet 1830.
Au même moment, les députés libéraux présents à Paris cherchent à s’organiser, mais redoutent la réaction du gouvernement. Alexandre de Laborde et Louis Bérard sont les plus allants. Une première réunion a lieu chez Casimir Perier dans l’après-midi du 26, où se retrouvent Bérard, Bertin de Vaux, Laborde, Saint-Aignan, Sébastiani et Taillepied de Bondy. Bérard propose une protestation collective, mais ses collègues refusent de s’engager. Déçu, il se rend, accompagné par Laborde, dans les bureaux du National où il se joint à la protestation de Thiers.
Dans la soirée, une quinzaine de députés se réunissent chez Laborde, parmi lesquels Bavoux, Bérard, Lefebvre, Mauguin, Perier, Persil, Schonen. Bérard propose à nouveau une protestation collective, mais les députés présents se dérobent au motif qu’ils ne sont pas suffisamment nombreux. On se borne à décider de se revoir le lendemain à quinze heures chez Casimir Perier qui, quoique visiblement embarrassé[N 16], n’ose pas refuser son salon.
Au même moment, quelques attroupements commencent à se former au Palais-Royal, place du Carrousel, place Vendôme, sous l'impulsion de l'Association de Janvier. On crie : « Vive la Charte ! À bas les ministres ! À bas Polignac ». Des manifestants reconnaissent la voiture de Polignac qui, en compagnie du baron d’Haussez, rentre à l’hôtel des Affaires étrangères, alors sis rue Neuve-des-Capucines. Des pierres sont lancées en direction de l’équipage, une vitre est brisée dont les éclats égratignent d’Haussez, mais le cocher parvient à entrer au grand galop dans la cour de l’hôtel dont les gendarmes referment aussitôt la porte. Un calme trompeur retombe sur Paris qui s’endort dans l’inquiétude du lendemain.
27 juillet : de l’émeute à l’insurrection |
Afin d'être prêt à toutes éventualité, le comte de Wall[10] indique au prince de Polignac, en début de matinée du 27 juillet, la venue de 100 gendarmes, d'un bataillon du 5e régiment de ligne et 500 hommes de la Garde de la caserne de la rue Verte[11].
Ce même jour, bravant les ordonnances, Le National, Le Temps, Le Globe et Le Journal du commerce paraissent sans autorisation et publient la protestation des journalistes. Aussitôt, le préfet de police, Claude Mangin, ordonne la saisie des presses des quatre journaux en cause et le parquet lance des mandats d’arrêt contre les signataires de la protestation. De vives échauffourées ont lieu entre la police et les ouvriers typographes, qui redoutent de perdre leur emploi et vont former le noyau dur de l’insurrection.
La sociologie de l’émeute demeure un sujet de controverses entre les historiens. Pour l’historiographie socialiste et communiste, dans la lignée d’Ernest Labrousse, les insurgés sont des victimes de la crise économique et des exclus. Pour d’autres, comme David H. Pinkney[12], ce sont essentiellement des artisans, des boutiquiers et des employés, dont beaucoup ont fait partie de la garde nationale jusqu’à sa suppression en 1827 et ont conservé leur arme. Pour Jean Tulard, se basant sur les archives de la préfecture de police, ce sont « des ouvriers saisonniers, sans passé ni traditions révolutionnaires […] masse facilement entraînée par les étudiants et les meneurs politiques »[13].
Des meneurs, il y en a : depuis au moins un an, activistes républicains ou bonapartistes ont préparé le terrain. Les républicains ne sont qu’une poignée, mais actifs et déterminés : Godefroy Cavaignac, Joseph Guinard, Armand Marrast, Louis-Adolphe Morhéry, François-Vincent Raspail, Ulysse Trélat, Ferdinand Flocon, Auguste Blanqui, etc. Les bonapartistes, souvent anciens soldats de l’Empire sont plus nombreux, mais aussi plus discrets, se retrouvant au sein de sociétés secrètes sous l’égide de la Charbonnerie.
À quinze heures, une trentaine de députés libéraux se réunissent chez Casimir Perier sous la présidence de leur doyen d’âge, le député d’extrême gauche Labbey de Pompières qui s’était rendu célèbre en demandant, en 1829, la mise en accusation du ministère Villèle. La plupart des députés présents sont inquiets, et se demandent s’ils ont le droit de se réunir. Bérard, qui trouve Casimir Perier « remarquable par un air de gêne et de contrainte extrêmement prononcé », propose une nouvelle fois de rédiger une protestation. Villemain suggère une simple lettre à Charles X et Dupin, des protestations individuelles. Après de nouvelles tergiversations, seul Guizot s’offre pour préparer un projet qu’il soumettra le lendemain. Vers dix-sept heures, les députés se séparent une fois de plus sans avoir rien résolu de clair. En réalité, la majorité des députés n’a aucune envie de créer l’irréparable avec Charles X et les ministres, et s’accommoderait d’un retrait des ordonnances et d’un changement de ministère.
Pendant ce temps, les premiers groupes d’émeutiers ont commencé à se heurter à la police et à la gendarmerie aux alentours du Palais-Royal[11]. Les premières barricades sont dressées par des étudiants et des ouvriers de l’Association des patriotes de Morhéry. La foule est exaspérée par l’annonce de la nomination du maréchal Marmont, duc de Raguse, au commandement de la 1re division militaire, c’est-à-dire de Paris. Comme Bourmont, Marmont représente, aux yeux du peuple, l’archétype du traître, celui dont la défection, en 1814, a contraint Napoléon à abdiquer[N 17]. Poussés par quelques meneurs, les manifestants harcèlent les troupes à coups de pavés, de briques ou de pots de fleurs à la galerie de Nemours. Débusqués par la troupe ils se replièrent sur la rue de Montpensier puis la rue du Lycée poursuivis par les gendarmes pendant qu'un escadron de cavalerie faisait évacuer la place du Palais-Royal[11].
Après quoi l'officier de service au palais Royal sortit avec une trentaine d'hommes pour faire évacuer la rue du Lycée. Ayant éprouvé de la résistance, il fit coucher en joue ; mais comme ses soldats montraient peu d'empressement à tirer, et qu'on lui faisait des représentations, il ordonna de redresser les armes. Cependant le peuple continuait à jeter des pierres; alors l'officier revint et commanda le feu. Cette fois les soldats obéirent, et un homme fut tué. Tel fut le signal des combats de juillet.
Beaucoup de gens l'avaient vu et entendu : le bruit s'en répandit aux alentours. On cria vengeance. En même temps la gendarmerie chargeait dans les rues aboutissantes au Palais-Royal, et blessait plusieurs personnes. Le peuple se fait alors des armes avec des voitures de briques destinées aux nouvelles constructions du Palais-Royal ; il saisit tout ce qui peut servir pour l'attaque ou pour la défense.
L'affluence augmente sans cesse, et avec elle les combattants. Le cri de guerre est Vive la Charte!
Plus tard, un coup de fusil parti d'un hôtel garni près la rue des Pyramides provoqua une décharge meurtrière, qui tua trois personnes aux fenêtres de cet hôtel ; il en périt quatre autres de la même manière dans la rue Traversière-Saint-Honoré. On pensait que les armes à feu intimideraient le peuple; elles ne firent que l'animer. Il se jetait sur les gendarmes, leur assénait vigoureusement des coups de pierres ou de bâton, leur jetait des pavés, les attaquait par-devant, par-derrière, de côté : c'était de la fureur[11].
Vers cinq heures, la première barricade fut faite dans la rue Saint-Honoré, allant de l'angle de la rue de Richelieu à celui de la rue de Rohan, au moyen de trois grosses voitures. A l'abri de ce rempart, les Parisiens assaillirent à coups de pierres un détachement de gendarmerie posté sur la place du Palais-Royal, qui recevait aussi des pierres du côté de la rue du Lycée. Quelques coups de fusil furent tirés et un cri de « Vive le duc d'Orléans » s'était fait entendre. Un peloton de lanciers, fut envoyé au galop enfilant les rues de Rohan et de Richelieu par-derrière la barricade , dispersa la foule sans faire usage des armes.
A-peu-près en même temps, une autre barricade avait été formée au coin de la rue de l'Échelle et de la rue Saint-Honoré, au moyen d'un Omnibus renversé et d'une voiture de porteur d'eau. 15 hommes d'infanterie avec un officier furent envoyés et des pierres furent lancés contre lui et son détachement mais les défenseurs de la barricade prirent la fuite. L'officier fit emmener les voitures.
A cinq heures, les troupes de la Garde furent réunies et en position, sous les ordres du maréchal duc de Raguse :
- Le 1er régiment d'infanterie de la Garde sur le boulevard des Capucines, avec 2 pièces de canon et 50 lanciers.
- Le 3e régiment d'infanterie de la Garde avec 4 pièces de canon, 150 lanciers et la gendarmerie d'élite, au Carrousel.
- Les Suisses (7e régiment d'infanterie de la Garde) avec 6 pièces de canon, sur la place Louis XV.
- Le 15e léger, au Pont-Neuf.
- Le 5e de ligne, sur la place Vendôme.
- Le 53e de ligne, sur les boulevards Poissonnière et Saint-Denis.
- Le 50e de ligne, avec le 1er régiment de cuirassiers de la Garde, à la place de la Bastille.
Le maréchal duc de Raguse donne alors ses instructions :
Ordre est donné « au colonel du 15e régiment de partir du Pont-Neuf et de suivre le quai de l'Horloge, le Pont au Change, et de se porter jusqu'à la hauteur du marché des Innocents. Il détachera alors un bataillon qui suivra la rue Saint-Honoré, pour prendre à revers une barricade qui se trouve près du Palais-Royal. Un bataillon de la Garde l'attaquera en même temps de l'autre côté. Cette barricade détruite, le colonel Perregaux suivra, dans toute sa longueur, la rue Saint-Denis et descendra le boulevard, tandis qu'un autre détachement marchera à sa rencontre avant de revenir au Pont-Neuf. Ces troupes balaieront tout ce qu'elles rencontreront sur leur passage. Elles emploieront la baïonnette si on leur résiste et ne feront feu que dans le cas où on ferait feu sur elles. Elles tireront cependant des coups de fusil aux fenêtres d'où on leur jetterait des pierres. Elles marcheront avec résolution et en battant la charge. Il est important que ce mouvement ait lieu avant la nuit et qu'il s'opère à sept heures (du soir). Des gendarmes à pied et des gendarmes d'élite marcheront avec le colonel baron de Perregaux ».
Conformément aux ordres, le 15e léger se mit en marche à 7h du soir. Des flots de peuple inondaient les places et les rues, la foule s'ouvrait sur son passage et se refermait aussitôt après. Les fenêtres étaient encombrées de spectateurs qui crièrent plusieurs fois : « Vive la ligne ! Vive le 15e léger! ». Il ne fera pas de mal au peuple.
Le bataillon de la Garde venait d'arriver à l'entrée de la rue Saint-Honoré, il avait enlevé la barricade, on lui avait jeté des pierres, et il avait fait feu.
Dans la soirée, on commença à voir des armes dans la foule, soit des armes de chasse, soit celles de la garde nationale, licenciée en 1827, mais non désarmée. Pour en avoir davantage, on pilla les boutiques des armuriers dont la boutique du célèbre arquebusier Le Page (devenu Fauré Le Page en 1868) située rue de Richelieu, à proximité du Palais-Royal.
On ramasse, sur le pavé, les premiers cadavres que les républicains brandissent comme des trophées, pour exciter le gros des émeutiers à l’insurrection. La révolution de 1830 commence véritablement à ce moment-là.
La foule porta sur la place de la Bourse, en criant vengeance, le corps d'un homme tué près du Palais-Royal. Le peuple voulait déposer ce cadavre au corps de garde, pour en faire un signal de vengeance. Les gendarmes qui occupaient ce poste s'y barricadèrent, le peuple y jeta des pierres, et menaça d'y mettre le feu. Alors les gendarmes se retirèrent, le feu fut mis au corps-de-garde, et les pompiers, qui vinrent pour l'éteindre, furent repoussés. Plusieurs détachements de la Garde et de la ligne se succédèrent sur la place de la Bourse, et tentèrent de la faire évacuer. Il y eut des pierres lancées, mais on ne tira ni de part ni d'autre.
Depuis sept heures les attroupements grossissaient beaucoup dans la rue Saint-Honoré et une nouvelle barricade fut formée à la hauteur de la rue de l'Échelle, au même endroit où déjà une première avait été détruite. Une autre était établie dans la rue Saint-Honoré à la hauteur de celle des Pyramides.
Deux compagnies d'infanterie furent chargées avec un détachement de
lanciers de détruire ces barricades. On rencontra de la résistance, des pierres furent lancées sur la troupe, des fenêtres des maisons voisines. Quelques soldats furent blessés. Des coups de feu étant partis d'une maison près de la rue des Pyramides, la troupe riposta vivement, la foule recula, les barricades furent détruites, et la circulation rétablie.
Au même moment, le capitaine Flandin, à la tête de 200 citoyens, dont il n'y en avait peut-être pas 20 qui fussent armés, attaqua la caserne de la Nouvelle-France située rue du Faubourg-Poissonnière, fit mettre bas les armes à 140 jeunes soldats du 50e de ligne, et s'empara de ce poste important, où on trouva de précieuses ressources pour la défense[14].
28 juillet : révolution populaire |
A 7 heures du matin, l'ordonnance de mise en état de siège de Paris est signée par le Roi.
«
Charles, etc.
Considérant qu'une sédition intérieure a troublé, dans la journée du 27 de ce mois, la tranquillité de la ville de Paris, etc.
Article 1. La ville de Paris est mise en état de siège.
Article 2. Cette disposition sera publiée et exécutée immédiatement.
Article 3. Notre ministre de la guerre est chargé de l'exécution de la présente ordonnance.
Signé CHARLES.
»
Elle est reçue par Marmont à 10 heures du matin qui reçoit donc les pleins pouvoirs pour écraser la révolution. Mais il ne dispose que de quelque 8 000 hommes, la capitale ayant été dégarnie pour constituer le corps expéditionnaire d’Alger, envoyer des troupes en Normandie pour tenter de rassurer la population inquiétée par la vague d’incendies criminels, et couvrir la frontière du Nord, car l’on craint des troubles en Belgique.
Le maréchal envoie sur-le-champ des officiers à Versailles et à Saint-Denis, pour faire venir à Paris les régiments qui s'y trouvent. Il expédie en même temps des courriers à Melun, Fontainebleau, Provins, Beauvais, Compiègne et Orléans, pour appeler les troupes de la Garde qui y tiennent garnison. Le 4e régiment d'infanterie revenant de Caen, en chemin pour être à Paris le 3 août, est prié d’accélérer sa marche.
A mesure que la population arrive dans les rues ou sur les places, des rassemblements se forment et grossissent rapidement. Des fleurs de lys sont brisées, les insignes de la royauté effacés, « À bas les Bourbons ! » est scandé. Des bandes d'ouvriers parcourent les rues en abattant, brisant ou brûlant les enseignes aux armes de France, les panonceaux des notaires, et jusqu'aux plaques des conducteurs de diligence et des facteurs de la poste, et aux estampilles des voitures publiques. Partout le mot royal est effacé ou couvert de boue. En plusieurs endroits on attache les armes de France à la corde des réverbères cassés. On ne crie plus, comme la veille, « Vive la Charte, à bas les ministres! » mais, « Vive la liberté, à bas les Bourbons ! ».
Au matin du 28 juillet, le centre et l’est de la capitale sont hérissés de barricades. 10 000 insurgés pillent les armureries en chantant La Marseillaise. À onze heures du matin, les ministres, Polignac en tête, viennent se réfugier auprès de Marmont au palais des Tuileries.
Marmont jugeant la situation très sérieuse envoie à Charles X, qui se trouve au château de Saint-Cloud, le célèbre message :
« Mercredi, à neuf heures du matin.
J'ai déjà eu l'honneur de rendre hier compte à votre majesté de la dispersion des groupes qui ont troublé la tranquillité de Paris. Ce matin ils se reforment plus nombreux et plus menaçants.
Ce n'est plus une émeute : c'est une révolution. Il est urgent que votre majesté prenne des moyens de pacification. L'honneur de la Couronne peut encore être sauvé, demain, peut-être, il ne serait plus temps. Je prends pour la journée d'aujourd'hui les mêmes mesures que celles d'hier. Les troupes seront, prêtes à midi, mais j'attends avec impatience les ordres de votre majesté ».
Charles X ne daigna répondre, laissant le maréchal Marmont devant ses responsabilités qui met alors ses troupes en positions :
- Le 1er régiment d'infanterie de la Garde sur le boulevard des Capucines avec 2 pièces de canon et 100 lanciers.
- Le 3e régiment d'infanterie de la Garde et 200 lanciers sur le Carrousel avec 2 pièces de canon.
- Les Suisses (7e régiment d'infanterie de la Garde) avec 6 pièces sur la place Louis XV, avec ordre de venir sur le Carrousel aussitôt qu'ils seraient remplacés dans leurs positions par le 2e régiment d'infanterie de la Garde et le 2e régiment de grenadiers à cheval, venant de Versailles.
- Le 15e léger au Pont-Neuf.
- Les 5e et 53e de ligne place Vendôme.
- Le 50e de ligne et les cuirassiers de la Garde sur la place de la Bastille.
- Le 6e régiment d'infanterie de la Garde, à son arrivée de Saint-Denis, devait se poster à la Madeleine.
- Le général Saint-Chamans fut chargé de suivre les boulevards jusqu'à la place de la Bastille avec deux bataillons du 1er régiment d'infanterie de la Garde, 150 lanciers et 2 pièces de canon. Il devait rallier dans sa marche le 50e de ligne et les cuirassiers de la Garde, prendre position à la Bastille, observer le faubourg Saint-Antoine, et se mettre en communication avec la place de Grève.
- Le général Talon partit avec un bataillon du 3e régiment d'infanterie de la Garde, un bataillon suisse, 150 lanciers, et 2 pièces de canon,
pour occuper la place de Grève.
- Le 15e léger, placé au Pont-Neuf, était destiné à le soutenir au besoin, et à assurer sa communication avec les Tuileries.
- Le général Quinsonnas eut l'ordre de se rendre au marché des Innocents avec deux bataillons du 3e régiment d'infanterie de la Garde, 2 pièces de canon et des gendarmes, et de s'y établir.
- Enfin le général de Wall, avec un régiment de ligne et les gendarmes, alla se poster à la place des Victoires.
Les chefs des colonnes reçurent l'ordre de dissiper tous les rassemblements qu'ils rencontreraient, en marchant sur eux franchement et avec énergie, de détruire toutes les barricades qu'ils pourraient trouver sur leur passage, en n'employant d'abord, s'il était possible,que de la cavalerie, puis de l'infanterie si la résistance l'exigeait, et enfin de ne faire usage des armes à feu que si les Parisiens tiraient sur
eux.
Les colonnes s'ébranlèrent et n'eurent pas de peine à chasser les groupes qui obstruaient les rues, et qui se dispersèrent devant elles. Mais la guerre changea de nature, elles trouvèrent partout des partisans à domicile et des tirailleurs aux fenêtres. La fusillade la plus vive et la plus meurtrière eut lieu ainsi entre les citoyens tirant de haut en bas, et les soldats tirant de bas en haut. Les citoyens presque invisibles et invulnérables avaient un grand avantage sur des troupes peu accoutumées à ce genre de combat, et formant des masses compactes sur lesquelles il était facile de tirer utilement. Dans beaucoup de maisons, on montait des pavés, pour les lancer sur les troupes, ainsi que des tuiles, des fragments de bouteille, des bûches, des boules.
Dès le matin, des gardes nationaux reparurent en uniforme. Les premiers furent portés en triomphe par le peuple, aux cris de Vive la garde nationale! Il y avait trois ans qu'on n'en avait vu. C'est le 29 avril 1827 que Charles X les avait licenciés, parce que quelques-uns d'entre eux, à une revue, avaient crié « À bas Villèle ! ».
Durant la journée du 28, les soldats, mal ravitaillés en vivres et en munitions, sont pris au piège des ruelles étroites du vieux Paris, cisaillées de barricades, sous des pluies de projectiles divers. En fin de matinée, les insurgés se rendent maîtres de l’hôtel de ville, au sommet duquel ils hissent le drapeau tricolore, provoquant une intense émotion dans la population parisienne. Plusieurs fois perdu et repris au cours de la journée, le bâtiment, hautement symbolique, finit par rester aux mains des insurgés.
Talleyrand se trouve dans son hôtel de Saint-Florentin, à l’angle de la place de la Concorde. À cinq heures de l’après-midi, son secrétaire, Colmache, lui annonce que le tocsin qu’on entend au loin signifie que le peuple a pris l’hôtel de ville.
« Quelques minutes encore, dit le prince de Bénévent, et Charles X ne sera plus roi de France »[15].
Vers une heure de l'après midi, une cinquantaine d'hommes dont huit à peine étaient armés, se présentèrent à la poudrière située sur le boulevard de l'Hôpital, près de la Salpêtrière et emportèrent barils et caisses de poudre qui furent envoyés dans divers lieux de Paris[16]. On délivra les militaires détenus à l'Abbaye, de Montaigu et à Sainte-Pélagie...
Voici ce qui arriva à chaque colonne dans l'exécution de son mouvement particulier :
Le général Saint-Chamans marcha assez tranquillement jusqu'au boulevard Bonne-Nouvelle, où il trouva une barricade qu'il fit enlever, mais pendant que ses voltigeurs commençaient à l'enlever, ils furent assaillis de plusieurs coups de fusil qui partaient de la porte Saint-Denis et des encoignures des rues aboutissantes. Les voltigeurs répondirent à cette fusillade. Il n'y avait personne dans les rues, on ne voyait pas ceux qui tiraient sur les troupes. Ensuite la colonne continua sa marche vers la Bastille en recevant de droite et de gauche des coups de fusil qu'elle rendait de son mieux. Mais elle n'avait que peu de munitions. Arrivée à la place de la Bastille, elle enfila la rue du Faubourg Saint-Antoine, où se trouvaient quelques barricades, et où il s'engagea encore une fusillade assez vive. Après qu'elle eut entièrement cessé, les habitants, hommes, femmes, et enfants, sortirent en foule des maisons, et se mêlèrent avec la troupe. Le général Saint-Chamans parla à plusieurs groupes de ces habitants, les exhortant à rester tranquilles et à reprendre leurs occupations journalières : « Il n'est pas facile de rester tranquilles , répondit une femme , lorsqu'on est sans argent, sans travail, et sans pain à donner à ses enfants! ». Vers cinq heures du soir, ne recevant aucun ordre de l'état-major, il jugea que les communications n'étaient plus libres, et se remit en marche pour les Tuileries. A la sortie du faubourg Saint-Antoine, sa colonne essuya encore une fusillade assez vive des mêmes maisons d'où le feu avait commencé quand il était entré dans le faubourg. Comme on ne pouvait plus passer sur les boulevards, à cause des abatis d'arbres et des barricades, il voulait prendre la rue Saint-Antoine, mais elle était défendue par une fusillade meurtrière qui partait des fenêtres des maisons et son infanterie ayant usé toutes ses cartouches, il passa la Seine au pont d'Austerlitz avec une légère résistance, et se rendit par les Boulevards-Neufs à l'esplanade des Invalides, et de là à la place Louis XV, où il arriva entre 10 et 11 heures du soir.
Le général Talon passa à midi et demi près du Pont-Neuf, où était le 15e léger, dont il avait ordre de prendre un bataillon. Voyant que ce régiment était peu nombreux, il ne prit que cinq compagnies. Près du Pont au Change, il ordonna au chef de bataillon qui le commandait de faire feu sur des hommes armés qui se trouvaient devant lui. Cet officier s'y refusa, disant qu'il ne ferait feu que lorsqu'on aurait tiré sur lui. Le général renouvela ses ordres, et reçut la même réponse. Il laissa ces compagnies sur le quai de la Cité pour assurer la communication entre l'Hôtel de Ville et le 15e léger. Lorsque le général Talon arriva sur la place de Grève, l'Hôtel de Ville était au pouvoir du peuple. Finalement le général Talon s'empara de la place, puis l'Hôtel-de-Ville, qui fut de nouveau attaqué par les émeutiers. A 11 heures du soir la colonne partit sans bruit pour regagner le Carrousel par la rive gauche de la Seine.
Le général Quinsonnas, envoyé au marché des Innocents, avait reçu l'ordre d'éclairer la rue Saint-Denis. Pour accomplir cet ordre, il jeta en avant un bataillon commandé par le colonel de Pleineselves. Ce bataillon fut promptement séparé du reste de la colonne par des barricades qui s'élevaient derrière lui à mesure qu'il avançait, et, ne pouvant retourner sur ses pas, il poussa jusqu'à la porte Saint-Denis, essuyant et faisant un feu très vif et non interrompu. Là, le chemin du boulevard étant coupé par de nombreuses barricades élevées après le passage de la colonne du général Saint-Chamans, le bataillon poursuivit sa route par le faubourg, et, faisant un long détour, il arriva à la caserne du Gros-Caillou.
Le général Quinsonnas parvint assez facilement au marché des Innocents. Mais, une fois arrivé là, il fut bloqué de tous les côtés. On avait fait derrière sa colonne de nombreuses barricades et on tirait sur lui de toutes les maisons qui ont vue sur la place. Affaibli d'un bataillon, il pouvait se trouver dans une position critique, et voulut envoyer au maréchal pour lui demander du renfort. Son aide-de-camp, ne pouvant entreprendre de passer avec son uniforme, se déguisa avec de mauvais vêtements, et à travers beaucoup de dangers il put arriver à l'état-major. Le maréchal envoya vers deux heures un détachement du 15e léger, puis un bataillon suisse, au secours du général Quinsonnas. Un bataillon et demi du 15e léger occupait le Pont-Neuf, gardant tous les débouchés, et faisant de vains efforts pour dissiper la foule. Quand le colonel eut reçu l'ordre de se porter au marché des Innocents, il prit quatre pelotons, et, laissant le reste de son monde pour garder le Pont-Neuf, il enfila la rue des Prouvaires, en partie dépavée, et garnie à l'entrée de deux barricades. Des hommes armés la gardaient, il les somma plusieurs fois de le laisser passer : ils s'y refusèrent. Alors le feu commença des deux côtés en même temps; les barricades furent abandonnées, et le détachement avança dans la rue des Prouvaires. Bientôt des coups de fusil partirent derrière lui , en même temps que des hommes embusqués en grand nombre dans le marché des Prouvaires et près de Saint-Eustache ajustaient à coup sûr les carabiniers. Cette compagnie avait déjà perdu deux officiers et 28 hommes il ordonna qu'on se retirât jusqu'à la première barricade ; alors le feu cessa.
Un bataillon du régiment suisse de Salis (7e de la Garde), commandé par le lieutenant-colonel de Maillardoz, stationnait sur le quai de l'École avec deux pièces de canon, lorsqu'il reçu l'ordre de laisser ses deux canons au 15e léger, et de conduire son bataillon au marché des Innocents pour ramener le général Quinsonnas, qui s'y trouvait sans munitions. Quand la colonne entra dans la rue de la Monnaie quelques coups de fusil, partis de plusieurs barricades et des maisons voisines, engagèrent un feu très vif entre les Suisses et les habitants. Une grêle de coups de fusil et de pavés tomba sur la troupe, qui fit un feu des plus nourris. Le bataillon arriva ainsi avec grande peine à la pointe Saint-Eustache. La vue des uniformes étrangers augmentait encore la fureur des Parisiens. Des croisées, des toits, des portes, des caves, les balles partaient sans interruption. Ce combat fut une des actions les plus chaudes des trois journées. Les Suisses se battaient en désespérés si bien que la tête de colonne, au lieu de prendre la halle en tournant à droite de la pointe Saint-Eustache, s'engagea par erreur dans la rue Montorgueil, après laquelle il fallut prendre la rue Mandar. La fusillade continua d'une manière terrible jusqu'à la rue Montmartre, que le bataillon enfila pour revenir à Saint-Eustache. Enfin le bataillon suisse arriva par la halle au beurre au marché des Innocents, après avoir eu 97 hommes tués ou blessés. Les Suisses du 7e de la garde du lieutenant-colonel de Maillardoz, le 3e de la Garde, la cavalerie et l'artillerie du général Quinsonnas s'engagèrent par la rue Saint-Denis. Dès le début, un feu épouvantable recommença de tous côtés. Les Suisses qui étaient en tête culbutaient les barricades de manière à ouvrir un passage suffisant à la cavalerie et aux canons. La colonne arriva ainsi sur la place du Châtelet, où le feu cessa entièrement. Le général Quinsonnas longea ensuite le quai pour aller prendre position sur le quai de l'École, conformément à l'ordre du maréchal Marmont.
Pendant ce temps-là, les députés libéraux continuent de rechercher une solution de compromis. Le général Gérard, député de l’Oise, familier du duc d’Orléans, envoie discrètement le docteur Thiébaut auprès du baron de Vitrolles pour le déterminer à faire une démarche auprès du roi afin d’obtenir le retrait des ordonnances. Vitrolles se rend à Saint-Cloud dans l’après-midi et rencontre pendant deux heures Charles X, qui continue de refuser toute concession. À midi, les députés se retrouvent chez Pierre-François Audry de Puyraveau, où l’on trouve notamment pour la première fois Laffitte et La Fayette, qui viennent de revenir dans la capitale. Ils désignent une commission de cinq membres – Laffitte, Delessert, Perier, les généraux Gérard et Mouton – chargée d’aller négocier avec Marmont pour obtenir un cessez-le-feu, et adoptent la protestation présentée par Guizot, qui impute prudemment aux seuls ministres, accusés d’avoir « trompé le roi », la responsabilité des ordonnances et laisse ainsi ouverte la possibilité d’une sortie de crise par le renvoi du ministère et le retrait des ordonnances.
Vers quatorze heures trente, la délégation des députés est reçue par Marmont aux Tuileries. Le maréchal, invoquant les ordres reçus, exige la fin de l’insurrection comme préalable à un ordre de cesser le feu, tandis que les députés réclament le retrait des ordonnances et le renvoi des ministres comme préalable à l’arrêt de l’émeute. La discussion tourne court, d’autant que Polignac, retranché dans une pièce voisine, refuse de recevoir les députés. Ceux-ci quittent les Tuileries vers quinze heures. Marmont envoie aussitôt un message à Charles X pour lui rendre compte et conclut : « Je pense qu’il est urgent que Votre Majesté profite sans délai des ouvertures qui lui ont été faites. »[17], tandis que Polignac envoie, de son côté, un émissaire, sans doute porteur du conseil de ne pas céder un pouce de terrain. En fin d’après-midi, Marmont reçoit la réponse du roi : il l’invite à « tenir ferme » et à concentrer ses troupes entre le Louvre et les Champs-Élysées.
Au même moment, les députés sont à nouveau réunis, cette fois chez Louis Bérard. Ils refusent de signer la protestation rédigée par Guizot, préférant laisser publier le texte imprimé, qu’ils pourront toujours désavouer en fonction de l’évolution de la situation. Il est vrai que la situation demeure incertaine. Le gouvernement a lancé des mandats d’arrêt contre La Fayette, Gérard, Mauguin, Audry de Puyraveau, Salverte et André Marchais, secrétaire de la société « Aide-toi, le ciel t'aidera ». Thiers est parti se cacher près de Pontoise tandis que Rémusat a trouvé refuge chez le duc de Broglie[N 18].
Jacques Laffitte, qui vient de rentrer de sa propriété de Breteuil, est le premier à engager des démarches auprès du duc d’Orléans. Au Palais-Royal, il prend contact avec le secrétaire des commandements du duc, Oudard, qui transmet à Louis-Philippe, à Neuilly, un message promettant au prince que Laffitte travaillera pour lui sans le compromettre, mais lui recommandant de « ne pas se compromettre lui-même en se faisant prendre dans les filets de Saint-Cloud »[N 19]. Averti, dans la nuit du 27 au 28, par la femme de Taillepied de Bondy qu’un bataillon de la garde royale, caserné au faubourg Saint-Honoré, a reçu l’ordre de cerner le château de Neuilly « au moindre mouvement qui pourrait faire supposer l’intention de mêler [le duc] à une insurrection »[18], Louis-Philippe passe la nuit du 28 au 29 dans une ancienne orangerie aménagée en magnanerie, qui flanque le petit château de Villiers, à la limite de la propriété[N 20].
29 juillet : triomphe de l’insurrection |
Pendant la nuit du 28 au 29 juillet, de nouvelles barricades ont été élevées. Le jeudi 29, à l’aube, Marmont a dû se concentrer sur une bande qui va du Louvre à l’Étoile en passant par les Tuileries et les Champs-Élysées :
- Il plaça deux bataillons suisses dans le Louvre, qui était la tête de sa ligne, et qu'on devait considérer comme une forteresse inexpugnable;
- Le 3e régiment de la Garde et ce qui restait du 6e de la Garde (environ 600 hommes) furent mis sur le Carrousel, ainsi que le 3e bataillon du régiment suisse de Salis, avec 4 pièces de canon;
- Le 1er et le 2e de la Garde occupèrent la place Louis XV et le boulevard de la Madeleine, avec deux pièces d'artillerie;
- Le 15e léger et le 50e de ligne furent placés dans le jardin des Tuileries avec 2 pièces de canon;
- Le 5e et le 53e de ligne, sur la place Vendôme;
- Une pièce de canon fut placée à l'entrée de la rue de Rohan pour enfiler la rue de Richelieu
- Une autre, rue Saint-Honoré , à la hauteur de la rue de l'Échelle, pour battre la place du Palais-Royal. Ces pièces étaient défendues par les troupes postées la veille dans la rue Saint-Honoré, où l'on mit encore quelques autres postes, dans le même but.
- Des gendarmes occupèrent les maisons de la place du Carrousel et celles de la rue de Rohan, qui sont en face de la rue de Rivoli, pour empêcher les habitants de tirer sur les troupes qui se trouveraient dans cette dernière rue.
Pendant ce temps le nombre des combattants Parisiens augmentait sans cesse. Les gardes nationaux et les citoyens qui avaient des armes se réunirent le plus régulièrement possible afin d'organiser la défense et l'attaque. Les élèves de l’École polytechnique se réunirent en uniforme sur la place de l'Odéon, et partirent de là pour attaquer la caserne Babylone, enlever un convoi de munitions que l'on envoyait à la Garde pour ensuite se répandre dans Paris en combattant comme ils l'entendaient, chacun de son côté. Le gouverneur des Invalides fit prévenir le duc de Raguse que toute la population du Gros-Caillou était en armes et se portait sur l'École Militaire, d'où elle pouvait couper les communications des troupes royales avec Saint-Cloud par le pont d'Iéna.
Dans la matinée, le 5e et le 53e régiments de ligne, qui tiennent la place Vendôme, passent aux insurgés[N 21]. Le 50e de ligne se trouvait alors dans les rues de Castiglione et de Rivoli fut pressé d'imiter l'exemple. Le colonel Maussion, qui le commandait, se porta auprès de 2 pièces de canon
qu'il avait fait mettre en batterie à l'entrée de la rue Castiglione et menaça de faire feu si l'on s'avançait, et parvint à contenir la foule.
Le 15e léger et le 50e de ligne furent envoyés au Champs-Elysées afin de les isoler du peuple.
Sur les onze heures, une colonne nombreuse d'insurgés s'avançait par la rue de Richelieu. Elle s'arrêta à la hauteur du passage Saint-Guillaume, et de là fit un feu assez vif sur tout ce qui se trouvait devant elle.
Les défections entraînent l’effondrement du dispositif militaire : pour colmater la brèche, Marmont doit dégarnir le Louvre et les Tuileries.
Les Parisiens rassemblés sur la place Saint-Germain-l'Auxerrois ne voyant plus personne occuper la colonnade, et apprenant que les Suisses avaient quitté le Louvre, s'en étaient fait ouvrir les portes. Les Suisses, après avoir riposté par un feu de bataillon, s'étaient portés en désordre sur le Carrousel alors qu'une partie des Parisiens débouchait à leur suite, tandis que l'autre gagnait les Tuileries. Les troupes royales se replient alors jusqu'à la place Louis XV et continuant leur repli, elles tombent sur une barricade avenue de Marigny avant d'apprendre qu'une forte colonne, composée des habitants de Neuilly, Courbevoie, et villages circonvoisins, se dirigeait sur le bois de Boulogne afin d'en occuper les portes, et de couper sa communication avec Saint-Cloud. Le général Saint-Chamans, qui était à la barrière de l'Étoile, se dirigea sur ce rassemblement, qui se dissipa après quelques coups de canon. Pendant ce temps le 15e léger, le 50e de ligne et le 1er régiment de la Garde furent dirigés sur Saint-Cloud par le quai de Chaillot tandis que le reste des troupes royales refluaient en désordre à travers les Champs-Élysées jusqu’à la barrière de l'Étoile ou elle prirent position et occupèrent une partie du faubourg du Roule.
Dans la soirée, l’insurrection est maîtresse de Paris et les débris de l’armée royale ont pris position du pont de Neuilly au pont de Sèvres afin de protéger Saint-Cloud ou était située la résidence royale.
Au petit matin, deux pairs, le marquis de Sémonville et le comte d’Argout, se rendent aux Tuileries pour demander à Polignac de démissionner et d’obtenir le retrait des ordonnances. À l’issue d’une entrevue orageuse, les deux pairs d’un côté, le président du Conseil de l’autre, se précipitent vers Saint-Cloud où ils arrivent en même temps, et s’opposent devant Charles X, pendant qu’on apporte à ce dernier la nouvelle de la débandade des troupes de Marmont.
Tôt le matin, le baron de Vitrolles a également reçu par l’intermédiaire du docteur Thiébaut une nouvelle communication du général Gérard qui lui indique que, désormais, outre le retrait des ordonnances, le roi doit renvoyer Polignac et confier au duc de Mortemart[N 22] le soin de former un nouveau ministère dans lequel entreraient Gérard et Perier. Charles X accepte ces conditions et charge Sémonville, d’Argout et Vitrolles de retourner à Paris pour faire connaître son acceptation.
Dans la matinée, une réunion chez Laffitte rassemble députés et journalistes dans le but de porter le duc d'Orléans au pouvoir. Laffitte a envoyé Oudard à Neuilly pour dire au duc d’Orléans qu’il est urgent qu’il prenne position. La Fayette annonce qu’il a accepté de prendre le commandement de la Garde nationale, dissoute en 1827 et qui vient de se reconstituer sans permission. Contre l’avis des républicains qui, avec Audry de Puyraveau, voudraient la création d’un gouvernement provisoire, Guizot, appuyé par Bertin de Vaux et Méchin, propose de former une commission municipale provisoire qui se chargerait d’administrer la capitale devant la carence des pouvoirs civil et militaire. Cette proposition est acceptée parmi les députés présents. Laffitte, qui ne veut pas être cantonné à un rôle municipal, et Gérard, qui va prendre le commandement des troupes parisiennes, se dérobent de sorte que la commission est composée de Casimir Perier, Mouton de Lobau, Audry de Puyraveau, Mauguin et Auguste de Schonen. La commission et La Fayette s’installent ainsi au milieu de l’après-midi à l’hôtel de ville.
Après avoir perdu un temps considérable à franchir les barricades, Sémonville, d’Argout et Vitrolles, partis de Saint-Cloud en fin d’après-midi, n’arrivent à l’hôtel de ville qu’à huit heures du soir. Ils sont reçus par la commission municipale et La Fayette, qui demandent des preuves officielles du renvoi de Polignac, que les émissaires sont incapables de leur fournir. Découragé, Sémonville va se coucher au palais du Luxembourg, tandis que d’Argout se rend, non sans difficultés, chez Laffitte, où les députés réunis paraissent plutôt favorables au maintien de Charles X sur son trône avec le duc de Mortemart comme Premier ministre. À dix heures du soir, d’Argout repart pour Saint-Cloud pour aller chercher le duc de Mortemart. Les députés lui ont indiqué qu’ils l’attendraient jusqu’à une heure du matin. À une heure et demie, il n’est pas rentré, la réunion se disperse, les parlementaires vont se coucher. Les émeutiers sont alors les maîtres de la capitale. L’heure de la solution de compromis est passée. Avec elle, c’est le trône de Charles X qui est désormais condamné.
30 et 31 juillet : récupération bourgeoise |
Le 30 juillet, députés et journalistes entrent en scène pour récupérer la révolution populaire au profit de la bourgeoisie. Après quelques jours d’hésitation entre république et solution orléaniste, la monarchie de Juillet est finalement instituée. La bourgeoisie parisienne dame le pion aux républicains désorganisés.
30 juillet : élimination de Charles X et de l’option républicaine |
L’offensive est lancée dès l’aube du vendredi 30 juillet par Laffitte et Thiers[N 23], avec la bienveillante complicité de Talleyrand qui, depuis quelque temps mise sur le duc d’Orléans pour sauver la monarchie constitutionnelle. Laffitte reçoit chez lui les trois rédacteurs du National : Thiers, Mignet, Carrel. Il ne craint pas la menace bonapartiste, car le duc de Reichstadt est en Autriche et la quasi-totalité des dignitaires de l’Empire sont ralliés à la monarchie, mais il redoute qu’avec l’arrivée imminente du duc de Mortemart, les députés ne se laissent séduire par une régence assortie de la proclamation du petit-fils de Charles X, le duc de Bordeaux, sous le nom de « Henri V ». Les quatre hommes conviennent qu’il faut prendre cette solution de vitesse en proclamant sans attendre le duc d’Orléans. Thiers et Mignet rédigent aussitôt un texte qui est imprimé sous forme d’affiche dans les ateliers du National et placardé partout dans Paris pour que les Parisiens le découvrent à leur réveil :
« Charles X ne peut plus rentrer dans Paris : il a fait couler le sang du peuple.
La république nous exposerait à d’affreuses divisions ; elle nous brouillerait avec l’Europe.
Le duc d’Orléans est un prince dévoué à la cause de la Révolution.
Le duc d’Orléans ne s’est jamais battu contre nous.
Le duc d’Orléans a porté au feu les couleurs tricolores.
Le duc d’Orléans peut seul les porter encore ; nous n’en voulons pas d’autres.
Le duc d’Orléans s’est prononcé ; il accepte la Charte comme nous l’avons toujours voulue et entendue[N 24]. C’est du peuple français qu’il tiendra sa couronne. »
Il ne reste plus qu’à neutraliser Mortemart, et surtout La Fayette, porte-drapeau des républicains, et à convaincre le duc d’Orléans, qui n’a pas révélé ses intentions, d’accepter la couronne.
S’agissant de La Fayette, Charles de Rémusat, qui a épousé sa petite-fille, est allé le sonder à l’hôtel de ville dans la matinée. Le choix, lui dit-il, est entre le duc d’Orléans et la république. Dans le cas de la république, La Fayette accepterait-il d’en prendre la direction ? Le vieux général, qui n’a aucune envie de porter le fardeau du pouvoir, se dérobe : « Le duc d’Orléans sera roi », répond-il[N 25].
S’agissant du duc de Mortemart, il n’est arrivé à Paris, accompagné du comte d’Argout, que dans la matinée[N 26]. Il a prévu de se rendre chez Laffitte, puis à l’hôtel de ville, mais il rencontre sur le chemin Bérard et son beau-père, le général Mathieu Dumas, qui lui annoncent que les députés qui s’étaient réunis chez le banquier viennent de se séparer mais qu’ils se retrouveront à midi au palais Bourbon pour confier au duc d’Orléans la lieutenance générale du royaume. Au duc de Mortemart, qui lui montre les ordonnances dont il est porteur, Bérard répond froidement : « Charles X a cessé de régner. […] Il est trop tard, le moment où un traité était possible est passé, il ne reviendra jamais »[19]. Effondré, Mortemart renonce à se rendre à l’hôtel de ville et se précipite au palais du Luxembourg où Sémonville a réuni quelques pairs. L’un d’entre eux, le comte de Sussy, s’offre d’aller notifier les ordonnances à l’hôtel de ville après en avoir fait faire des copies certifiées conformes : aimablement accueilli par La Fayette, il doit fuir sous les huées de la foule lorsque celui-ci donne lecture des ordonnances.
Au palais Bourbon, les députés, réunis à midi, refusent de recevoir les ordonnances en considérant que Charles X a cessé de régner et désignent une commission de cinq membres pour aller discuter avec les pairs : Augustin Perier, Horace Sébastiani, François Guizot, Benjamin Delessert et Jean-Guillaume Hyde de Neuville. Au palais du Luxembourg, les députés expliquent au duc de Mortemart que Charles X a cessé de régner et que le duc d’Orléans est désormais le seul rempart contre la république. Mortemart, tout en protestant qu’il ne peut, comme ministre de Charles X, entrer dans un tel raisonnement, finit par reconnaître que la lieutenance générale du duc d’Orléans lui semblerait, dans les circonstances de l’heure, la moins mauvaise des solutions. La plupart des pairs présents opinent dans le même sens et Sébastiani est envoyé au palais Bourbon pour communiquer cette délibération aux députés.
Il ne reste plus qu’à convaincre le duc d’Orléans que le moment est venu de se découvrir. Or Louis-Philippe craint d’entrer prématurément dans Paris. Au matin du 30 juillet, rien ne démontre que Charles X est complètement hors jeu : il est encore à Saint-Cloud, vient de nommer un nouveau gouvernement, peut abdiquer en faveur du duc de Bordeaux… Le duc d’Orléans juge prudent d’attendre et, dans la matinée, son aide de camp, le général de Rumigny, l’a prévenu, de la part de quelques députés, que les parlementaires voudraient l’appeler sur le trône, mais que Charles X pourrait tenter de le faire arrêter. Aussi quitte-t-il discrètement son domaine de Neuilly par Levallois pour se rendre dans son château du Raincy, beaucoup plus éloigné de Saint-Cloud[N 27].
Vers midi, les députés se réunissent au palais Bourbon. Seul Hyde de Neuville parle en faveur de Charles X, et ils ne sont qu’une poignée à évoquer la république ; tous les autres sont favorables au duc d’Orléans, mais se divisent sur les conditions de son arrivée au pouvoir : certains veulent le proclamer lieutenant général du royaume, tandis que d’autres voudraient l’élever tout de suite sur le trône.
En définitive, en début d’après-midi, les députés s’accordent sur la première formule et adoptent une proposition rédigée par Benjamin Constant qui « prie S.A.R. Mgr le duc d’Orléans de se rendre dans la capitale pour y exercer les fonctions de lieutenant général du royaume » et « lui exprime le vœu de conserver les couleurs nationales ».
Dans la matinée, les députés ont décidé d’envoyer Henri de Rigny, accompagné de Jean Vatout, sonder le duc d’Orléans au château de Neuilly ; mais Thiers, muni par Laffitte et Sébastiani de lettres d’introduction et accompagné du peintre Ary Scheffer, familier de la famille d’Orléans, est parti à toute allure sur de bons chevaux prêtés par le prince de la Moskowa, gendre de Laffitte, pour leur griller la politesse. Thiers, arrivé le premier, ne trouve pas le duc d’Orléans à Neuilly, mais, tandis que la duchesse lui explique « qu’il est impossible que [son mari] accepte tant que le roi est encore à Saint-Cloud »[N 28], Mademoiselle d’Orléans, sœur du duc, paraît lui accorder une attention beaucoup plus complaisante. Il faut éviter, dit-elle, de « donner à la révolution le caractère d’une révolution de palais, d’une intrigue du duc d’Orléans »[20] et de provoquer une intervention des puissances étrangères. Thiers fait valoir que la solution orléaniste peut seule sauver la France de l’anarchie et que les puissances, soulagées de voir la France échapper à la république, ne pourront qu’approuver le changement de dynastie. En définitive, l’intrépide Mademoiselle d'Orléans conclut : « Si vous croyez que l’adhésion de notre famille peut être utile à la révolution, nous vous la donnons bien volontiers ! »[21], et elle va même jusqu’à envisager de se rendre elle-même à Paris pour accepter la lieutenance générale au nom de son frère : « Il faut que la Chambre des députés se prononce, mais cela fait, mon frère ne peut hésiter, et, s’il le faut, j’irai moi-même à Paris et je promettrai en son nom, sur la place du Palais-Royal, au milieu du peuple des barricades »[22].
Vis-à-vis de Rigny, arrivé sur ces entrefaites, la duchesse oscille entre légitimisme et tentation de la lieutenance générale. Toute la journée, les visiteurs se pressent à Neuilly : « La demeure du duc d’Orléans [est] assiégée par le zèle des uns, par l’importunité des autres ; ambitieux ou dévoués, tous arriv[ent] au prince, la couronne de France dans la poche »[23]. À Dupin aîné et Persil, la duchesse soutient que « son mari ne veut pas devenir usurpateur » et qu’il ne veut pas qu’on puisse dire que la révolution a été accomplie « pour mettre le duc d’Orléans sur le trône » et non « pour défendre les libertés nationales »[24]. Mais, pendant qu’elle joue ainsi la comédie de la vertu, elle envoie vers une heure Oudard au Raincy pour tenir Louis-Philippe au courant et lui conseiller de revenir sans tarder à Neuilly. Arrive, peu après, Lasteyrie, gendre de La Fayette, pour faire savoir de la part de ce dernier « qu’il faut se dépêcher parce qu’il est difficile de contenir le peuple ». La duchesse envoie aussitôt à son mari un second messager, le jeune Anatole de Montesquiou-Fézensac, qui parcourt à bride abattue les vingt kilomètres qui séparent Neuilly du Raincy, où il arrive en milieu d’après-midi.
Après avoir adopté la résolution préparée par Benjamin Constant, les députés tirent au sort une commission de douze membres[N 29] pour aller la notifier au duc d’Orléans au Palais-Royal. N’y trouvant pas Louis-Philippe, la commission envoie à Neuilly un jeune maître des requêtes, Langlois d’Amilly, chargé d’annoncer son arrivée prochaine. Il est suivi de peu par Alexandre Méchin. Tous deux, épaulés par le poète Casimir Delavigne, tentent de convaincre la duchesse, qui s’y refuse, de l’urgence à s’engager.
En début de soirée, Louis-Philippe, accompagné de Montesquiou et d’Oudard, rentre à Neuilly et se cache dans le parc, au carrefour des Poteaux-Ronds[N 30]. Dans le bosquet des Tourniquets, il est rejoint vers huit heures du soir par sa femme et par sa sœur. C’est là qu’il décide d’accepter la résolution des députés car celle-ci, ne précisant pas au nom de qui la lieutenance générale sera exercée, semble suffisamment vague pour préserver l’avenir. Il fait venir les douze commissaires envoyés par les députés et, à la lumière des torches, écoute la lecture de la proclamation et y donne son accord[N 31].
31 juillet : arrivée de Louis-Philippe |
Arborant à la boutonnière un ruban tricolore, vêtu d’une redingote grise et d’un chapeau rond, Louis-Philippe, accompagné du baron de Berthois, d’Oudard et du colonel Heymès, quitte Neuilly à pied par la grille du parc, vers dix heures du soir et se dirige vers le Palais-Royal. Sur le chemin, il s’arrête à l’hôtel de Saint-Florentin chez Talleyrand et s’assure de l’appui de ce dernier. Il arrive au Palais-Royal peu avant minuit et, par une porte dérobée, va se coucher dans une chambre de l’appartement d’Oudard, non sans avoir envoyé mander le duc de Mortemart.
Pendant ce temps, Heymès se rend chez Jacques Laffitte qu’il tire de son lit à une heure et demie du matin pour lui annoncer que le duc d’Orléans recevra les députés à neuf heures au Palais-Royal. Il se rend ensuite au palais du Luxembourg où il arrive vers deux heures du matin. Il réveille le duc de Mortemart et parvient à le convaincre de le suivre auprès de Louis-Philippe. Partis vers trois heures du matin, les deux hommes parviennent, après bien des détours, à rejoindre le Palais-Royal. Conduit par Berthois à travers un dédale de corridors et d’escaliers dérobés, Mortemart est introduit à quatre heures du matin auprès de Louis-Philippe, qui dort sur un matelas jeté à même le sol d’une petite pièce. Il fait une chaleur suffocante. Le duc d’Orléans se lève, dépoitraillé, sans perruque, en sueur et débite avec animation un long discours destiné à convaincre Mortemart de sa fidélité à Charles X : « Si vous voyez le roi avant moi, conclut-il, dites-lui qu’il m’ont amené de force à Paris […] que je me ferai mettre en pièces plutôt que de me laisser poser la couronne sur la tête »[25]. Puis, annonçant à Mortemart que les députés présents à Paris l’ont nommé lieutenant général du royaume pour faire barrage à la république, il lui demande si ses pouvoirs lui permettent de reconnaître cette nomination au nom de Charles X. Mortemart ayant répondu par la négative, Louis-Philippe lui remet une lettre destinée au roi dans laquelle, après avoir protesté de sa loyauté, il déclare que si on le contraint à exercer le pouvoir, il ne l’acceptera que « temporairement et dans l’intérêt de [leur] maison ».
Mais, peu après, au matin, Louis-Philippe apprend que Charles X, cédant à la panique et au découragement, vient de quitter Saint-Cloud pour Trianon. Aussitôt, il fait rappeler le duc de Mortemart et lui redemande sa lettre, sous prétexte d’y apporter une correction. Pour Louis-Philippe, à cet instant, les dés sont jetés : le trône est vacant, il ne lui reste plus qu’à s’y asseoir.
Dès neuf heures du matin, après s’être entretenu avec Méchin, Dupin et Sébastiani, il reçoit la délégation des députés auprès de qui il finasse. Il affirme qu’il ne peut se prononcer tout de suite sur la lieutenance générale en raison de ses liens de famille avec Charles X qui lui imposent « des devoirs personnels et d’une nature étroite », et des avis qu’il dit vouloir demander « à des personnes en qui il a confiance et qui ne sont pas encore ici ». La manœuvre réussit parfaitement : les députés le supplient d’accepter, agitant le spectre de la république qui peut être proclamée à tout instant à l’hôtel de ville ; ainsi, Louis-Philippe pourra toujours affirmer qu’on lui a forcé la main, et qu’il ne s’est dévoué que pour sauver la monarchie[N 32].
Louis-Philippe se retire alors avec Sébastiani et Dupin avec qui il rédige un projet de proclamation qui, après quelques amendements mineurs, est accepté par les députés présents :
« Habitants de Paris ! Les députés de la France, en ce moment réunis à Paris, ont exprimé le désir que je me rendisse dans cette capitale pour y exercer les fonctions de lieutenant général du royaume. Je n’ai pas balancé à venir partager vos dangers, à me placer au milieu de votre héroïque population, et à faire tous mes efforts pour vous préserver de la guerre civile et de l’anarchie.. En rentrant dans la ville de Paris, je portais avec orgueil ces couleurs glorieuses que vous avez reprises, et que j’avais moi-même longtemps portées. Les chambres vont se réunir ; elles aviseront aux moyens d’assurer le régime des lois et le maintien des droits de la nation. La Charte sera désormais une vérité »[N 33].
Recevant cette proclamation, les députés y répondent en début d’après-midi :
« Français ! La France est libre. Le pouvoir absolu levait son drapeau, l’héroïque population de Paris l’a abattu. Paris attaqué a fait triompher par les armes la cause sacrée qui venait de triompher en vain dans les élections. Un pouvoir usurpateur de nos droits, perturbateur de notre repos, menaçait à la fois la liberté et l’ordre ; nous rentrons en possession de l’ordre et de la liberté. Plus de craintes pour les droits acquis, plus de barrières entre nous et les droits qui nous manquent encore.
Un gouvernement qui, sans délai, nous garantisse ces biens est aujourd’hui le premier besoin de la patrie. Français ! Ceux de vos députés qui se trouvent déjà à Paris se sont réunis, et, en attendant l’intervention régulière des chambres, ils ont invité un Français qui n’a jamais combattu que pour la France, M. le duc d’Orléans, à exercer les fonctions de lieutenant général du royaume. C’est à leurs yeux le moyen d’accomplir promptement, par la paix, le succès de la plus légitime défense.
Le duc d’Orléans est dévoué à la cause nationale et constitutionnelle. Il en a toujours défendu les intérêts et professé les principes. Il respectera nos droits, car il tiendra de nous les siens. Nous nous assurerons par des lois toutes les garanties nécessaires pour rendre la liberté forte et durable :
Le rétablissement de la Garde nationale avec l’intervention des gardes nationaux dans le choix des officiers.
L’intervention des citoyens dans la formation des administrations départementales et municipales.
Le jury pour les délits de presse.
La responsabilité légalement organisée des ministres et des agents secondaires de l’administration.
L’état des militaires légalement assuré.
La réélection des députés promus à des fonctions publiques.Nous donnerons à nos institutions, de concert avec le chef de l’État, les développements dont elles ont besoin.
Français, le duc d’Orléans lui-même a déjà parlé, et son langage est celui qui convient à un pays libre : les chambres vont se réunir, vous dit-il ; elles aviseront au moyen d’assurer le règne des lois et le maintien des droits de la nation.
La Charte sera désormais une vérité. »
Signé par quelque 90 députés, l’acte est porté au début de l’après-midi au Palais-Royal. Mais la manœuvre en faveur du duc d’Orléans, sitôt connue à l’hôtel de ville, suscite la fureur des républicains. Le duc de Chartres, accouru de Joigny, est arrêté à Montrouge et menacé d’être passé par les armes : il faut l’intervention personnelle de La Fayette pour obtenir sa libération. La commission municipale, en réaction, cherche à se transformer en gouvernement provisoire, lance une proclamation qui affecte d’ignorer celle des députés et nomme des commissaires provisoires aux différents départements ministériels.
Il est temps pour Louis-Philippe de se rendre à l’hôtel de ville pour conjurer définitivement, avec la complicité de La Fayette[N 34], le spectre républicain. La manœuvre n’est pas sans risques, mais elle est indispensable. Vers deux heures de l’après-midi, un cortège picaresque quitte le Palais-Royal : « Le duc d’Orléans, raconte Chateaubriand, ayant pris le parti d’aller faire confirmer son titre par les tribuns de l’Hôtel de Ville, descendit dans la cour du Palais-Royal, entouré de quatre-vingt-dix-neuf députés en casquettes, en chapeaux ronds, en habits, en redingotes […] Le candidat royal est monté sur un cheval blanc ; il est suivi de Benjamin Constant dans une chaise à porteurs ballottée par deux Savoyards. MM. Méchin et Viennet, couverts de sueur et de poussière, marchent entre le cheval blanc du monarque futur et le député goutteux, se querellant avec les deux crocheteurs pour garder les distances voulues. Un tambour à moitié ivre battait la caisse à la tête du cortège. Quatre huissiers servaient de licteurs. Les députés les plus zélés meuglaient : Vive le duc d’Orléans ! »[26].
Mais au fur et à mesure que le cortège, le long des quais de la Seine, progresse difficilement à travers les barricades en direction de l’hôtel de ville, ce sont d’autres cris qui s’élèvent d’une foule de plus en plus hostile : « À bas les Bourbons ! Plus de Bourbons ! À mort les Bourbons ! À bas le duc d’Orléans ! » Arrivé à l’hôtel de ville, Louis-Philippe, qui a revêtu un uniforme de la garde nationale, lance, sans parvenir à détendre l’atmosphère :
– Messieurs, c’est un ancien garde national qui fait visite à son ancien général !
Le trait est accueilli par des murmures hostiles : « Vive La Fayette ! À bas les Bourbons ! » Embrassant le vieux général qui s’avance vers lui en boitant, Louis-Philippe, séducteur, s’écrie :
– Ah ! C’est par suite de la blessure que vous avez reçue en Amérique, à la bataille de la Brandywine[N 35] !
– Ah ! Monseigneur, quelle mémoire ! s’extasie La Fayette, flatté.
Viennet, député de l’Hérault, donne lecture de la proclamation des députés, qui est accueillie par des applaudissements lorsqu’elle promet la garantie des libertés publiques. Louis-Philippe répond gravement : « Je déplore comme Français le mal fait au pays et le sang versé ; comme prince, je suis heureux de contribuer au bonheur de la nation ». C’est alors que surgit un énergumène nommé Dubourg, placé là par le journaliste Dumoulin, pilier du parti bonapartiste[N 36]. Il apostrophe Louis-Philippe : « On dit que vous êtes un honnête homme, et comme tel incapable de manquer à vos serments. J’aime à le croire, mais il est bon que vous soyez prévenu que si vous ne les tenez pas, on saurait vous les faire tenir ». Le duc d’Orléans répond avec superbe : « Vous ne me connaissez pas, Monsieur ! Vous apprendrez à me connaître. Je ne vous ai donné aucun droit de m’adresser de semblables paroles. Je n’ai jamais manqué à mes serments, et ce n’est pas quand la Patrie me réclame que je songerais à la trahir ».
Pour effacer l’impression pénible laissée par cette scène, La Fayette entraîne Louis-Philippe au balcon de l’Hôtel de ville où les deux hommes se donnent une accolade théâtrale, enveloppés dans les plis d’un immense drapeau tricolore. La brillante mise en scène retourne la foule hostile massée sur la place de Grève : le « baiser républicain » de La Fayette, selon l’ironique formule de Chateaubriand, vient d’asseoir définitivement Louis-Philippe sur le trône.
Louis-Philippe regagne le Palais-Royal par la rue Saint-Honoré où il reçoit un accueil plus chaleureux, distribuant sur son chemin de nombreuses poignées de main aux badauds : c’est sans doute l’un des premiers bains de foule de l’histoire. La foule le suit jusqu’au Palais-Royal qu’elle investit bruyamment. Au début de la soirée, lorsque la duchesse d’Orléans et Mademoiselle Adélaïde arrivent au Palais-Royal, elles trouvent un spectacle qui leur semble fort déplaisant : « Nous avons trouvé mon mari, raconte la duchesse, avec M. Dupin et le général Sébastiani. Les deux salons de son appartement étaient remplis de toutes sortes de personnes ; le drapeau tricolore flottait partout ; les fenêtres et les murailles étaient percées de balles ; des chants et des danses sur la place ; partout un air de désordre et de confusion qui faisaient mal »[27].
Conséquences |
Débouchant, en France, sur la fondation d'un nouveau régime, la monarchie de Juillet, qui conforte l'association aux affaires publiques de la bourgeoisie industrielle et financière, les Trois Glorieuses sont également à l'origine d'une première effervescence révolutionnaire en Europe, annonciatrice du « printemps des peuples » de 1848 mais qui, hormis la création de la Belgique, appuyée avec force par la France, ne débouche pas sur des changements durables.
En France |
En une dizaine de jours, Louis-Philippe d’Orléans consolide son pouvoir, et écarte toute menace républicaine tandis que Charles X et sa famille prennent la route de l'exil. D’abord désigné « lieutenant-général du royaume », Louis-Philippe est reconnu « roi des Français » le 9 août 1830.
Rupture symbolique avec le passé, la monarchie de Juillet prend comme emblème le drapeau tricolore bleu-blanc-rouge. Rompant avec le « parti prêtre », le nouveau régime s’affirme beaucoup plus laïc que son prédécesseur. Les libéraux entrent en force au gouvernement. Mais la Charte de 1814 n’est que superficiellement toilettée, et le droit de vote n’est que peu étendu par la loi électorale du 19 avril 1831.
Le nouveau régime s’installe avec l’assentiment d’une bonne partie de l’opinion, hostile à la République, et que la ré-interprétation laïque, bourgeoise et libérale de la Charte satisfait. Mais il est contesté, sur sa gauche par les républicains et sur sa droite par les légitimistes :
- Les activistes républicains, peu nombreux, mais déterminés, et profondément déçus par les premiers pas de la monarchie bourgeoise, harcèlent le ministère. Des émeutes, parfois armées, toujours rapidement réprimées, secouent sporadiquement le pays, de 1831 à 1839. Ainsi, par exemple, les émeutes déclenchées les 5, 6 et 7 juin 1832, à l’occasion des obsèques du général Lamarque, député républicain, font 800 morts. Du 9 au 15 avril 1834 à Lyon, la seconde révolte des Canuts fait près de 600 morts. Le roi est également visé par plusieurs tentatives d’assassinat.
- Tout comme les républicains, les légitimistes contestent le nouveau régime. En 1832, le complot dit « de la rue des Prouvaires » tente d’assassiner Louis-Philippe, et une tentative d’insurrection royaliste est menée sans succès dans l’Ouest de la France.
Finalement stabilisé, le régime dure jusqu’à la révolution française de 1848, mais résumant les 18 années qui viennent de s’écouler, Victor Hugo écrit : « 89 est accouché d’un monstre ; 1830 d’un nain »[28].
En Europe |
La Sainte-Alliance, formée en 1815 par les souverains vainqueurs de Napoléon Ier, devait empêcher toute révolution en Europe. Elle avait d’ailleurs mené plusieurs opérations militaires en ce sens dans les années 1820. Mais en 1830, l'Angleterre s'empresse de reconnaître la monarchie de Juillet et, après quelques hésitations, les autres souverains signataires de l’alliance – Autriche, Prusse, Russie – décident de ne pas intervenir et de reconnaître à leur tour le nouveau régime.
L’exemple français et l’absence de réaction internationale provoquent alors une série de mouvements nationalistes et libéraux à travers toute l’Europe.
En Allemagne |
En Allemagne, alors sans gouvernement central, des mouvements libéraux éclatent en Saxe, au Brunswick (7–8 septembre), en Hesse, en Prusse rhénane.
Au Brunswick, le duc régnant, Charles II, célèbre par ses excentricités, et qui, au lendemain des Trois Glorieuses, avait promis d'écraser dans le sang toute tentative d'insurrection, doit fuir ses États au début de septembre. Son frère cadet, Guillaume, est alors proclamé lieutenant-général, puis duc régnant.
Au Hanovre, les étudiants de Göttingen créent une milice qui impose au souverain une constitution.
En Allemagne du Sud, les libéraux réunis à Hambach (Palatinat) plaident en faveur d’une République fédérale allemande et hissent le drapeau noir, rouge et or de la Burschenschaft, symbole de la nouvelle Allemagne.
En Italie |
En Italie, Ciro Menotti fonde à Modène, Parme, Bologne, Ferrare et en Romagne une série de noyaux révolutionnaires avec pour mot d’ordre « indépendance, union et liberté ».
En 1831, une vague révolutionnaire secoue l’Italie centrale. Les carbonari résidant à Paris, liés aux libéraux qui viennent de réussir la révolution de Juillet, pensent que le nouveau gouvernement français présidé par Jacques Laffitte découragera une intervention autrichienne en Italie. À Rome, en décembre 1830, les deux fils de Louis Bonaparte, Napoléon-Louis et Louis-Napoléon complotent ; ils sont expulsés. En février 1831, le duc de Modène, François IV, doit s’enfuir ; il en est de même pour la duchesse Marie-Louise à Parme.
Le 26 février, une assemblée des délégués des régions révoltées proclame les « Provinces Unies d’Italie ». Mais le nouveau gouvernement français présidé par Casimir Perier (mars 1831) retire son soutien aux Italiens, laissant la voie libre à une intervention autrichienne. Les ducs sont rétablis sur leurs trônes. Des révolutionnaires, dont Menotti, sont exécutés.
À Rome, le pape Grégoire XVI et le cardinal Bernetti rétablissent l’absolutisme et, en 1832, écrasent un soulèvement dans les Marches et la Romagne. Jusqu’en 1838, des troupes autrichiennes y stationneront pour empêcher tout nouveau mouvement, les Français occupant, en contrepartie, la ville d'Ancône.
À Marseille, le révolutionnaire italien Giuseppe Mazzini fonde alors le mouvement Jeune Italie (Giovine Italia), association composée de jeunes patriotes qui se propose de libérer et d’unifier l’Italie et d’y instaurer un régime républicain. Au total, la révolution de 1830–1831 a été un échec, mais elle annonce les nouveaux mouvements insurrectionnels italiens de 1848.
En Belgique |
En Belgique, la politique maladroite des Hollandais provoque l’insurrection bruxelloise du 25 août 1830. Le 4 septembre, le mouvement s’amplifie et reçoit le soutien des Liégeois. Le 20 septembre, la garde bourgeoise de Bruxelles, formée d’éléments modérés, est désarmée par les émeutiers.
Les 23–26 septembre, l’échec d’une intervention militaire néerlandaise à Bruxelles pousse radicaux et modérés à se liguer (les « Quatre Journées »). Le 27 septembre, les insurgés belges arrêtent les troupes néerlandaises devant Bruxelles et les repoussent jusqu’à l’ancienne frontière des Pays-Bas autrichiens. Le 4 octobre, c’est la proclamation à Bruxelles de l’indépendance de la Belgique par un gouvernement provisoire qui convoque un Congrès national pour la fin novembre.
Ce Congrès décide de donner à la Belgique un statut de monarchie constitutionnelle et d’exclure de la couronne les membres de la maison d’Orange-Nassau. Le 20 décembre, la Conférence de Londres reconnaît l’indépendance de la Belgique. le 7 février 1831, la Constitution belge est proclamée, inspirée du libéralisme bourgeois et catholique, qui entérine la création d’une monarchie parlementaire bicamérale et héréditaire.
En Europe de l'Est |
En Europe de l’Est, on assiste à la scission des nationalistes tchèques entre conservateurs (pro-russes) et radicaux (démocrates regroupés au sein de la « matice česká (en) »).
En Pologne, le tsar Nicolas Ier de Russie, qui veut intervenir contre les Belges au nom de la Sainte-Alliance, donne l’ordre de mobilisation des troupes polonaises le 18 novembre. Opposés à cette intervention, les nationalistes déclenchent le 29 novembre l’Insurrection de Novembre.
Le ministre du Trésor et de l’Industrie Drucki-Lubecki prend les choses en mains afin de négocier avec le tsar et de maintenir le mouvement révolutionnaire dans des voies modérées : il crée un Conseil administratif. Les patriotes mettent un club sur pied, la Société patriotique, dont un des chefs est l’historien Joachim Lelewel. Le 18 décembre, le Sejm (la Diète polonaise) affirme le caractère national de l’insurrection.
Le tsar annonce son intention de reconquérir militairement le pays. Le soulèvement est violemment réprimé après la défaite des nationalistes, affaiblis par le choléra, à Ostrołęka le 26 mai, et la prise de Varsovie le 8 septembre 1831.
La Russie soumet alors la Pologne à une politique de répression et de russification. La Pologne cesse d’exister comme nation. Les Russes entreprennent une destruction systématique de la nationalité polonaise. La Constitution, la Diète et l’armée polonaises sont abolies, les Polonais privés de leurs libertés individuelles. Les universités sont fermées, les étudiants envoyés en Russie, les catholiques persécutés. Dix mille patriotes s’exilent vers la Suisse, la Belgique et la France. Manifestations, émeutes et représailles sanglantes se succèdent.
Synthèse |
La révolution française de 1830 et ses conséquences n’ont pas bouleversé le paysage institutionnel, ni en France ni en Europe, à l’exception du cas belge. Mais pour la première fois depuis les années 1790, une vague de révolutions populaires a traversé l’Europe. L’année 1848 verra se reproduire le phénomène, sur une plus vaste échelle, sous le nom de « printemps des peuples ».
Le régime constitutionnel français se libéralise nettement et le renouvellement des cadres est sensible. Dans les seules institutions scientifiques, on peut par exemple relever le retour en grâce de hauts fonctionnaires du Premier Empire comme Hachette et Poinsot, et le départ de Cauchy. Les penseurs libéraux Abel-François Villemain et François Guizot deviennent ministres, et Jules Michelet obtient un poste de professeur à la Faculté des Lettres de la Sorbonne : les idées révolutionnaires, libérales, nationalistes et républicaines en sortent renforcées.
Postérité |
- Les Trois Glorieuses sont commémorées par la colonne de Juillet qui s’élève place de la Bastille, à Paris. Sur une plaque, au bas de la colonne, il est écrit :« À la gloire des citoyens français qui s’armèrent et combattirent pour la défense des libertés publiques dans les mémorables journées des 27, 28, 29 juillet 1830 ». Le fût de la colonne porte le nom des victimes des journées révolutionnaires de juillet 1830. Emmanuel Fureix souligne que le nouveau régime s'opposa à ce que la liste officielle des morts mentionne leur métier, et ajoute que les « journaux liés au nouveau régime construisent une galerie de portraits de martyrs … dont les ouvriers … sont exclus » alors qu'ils étaient nombreux parmi les insurgés[29] (dans cette galerie officielle figure le fameux, mais légendaire, Arcole).
- Le nouveau régime décida que des récompenses seraient accordées à tous les blessés des Trois Glorieuses et créa une Croix de Juillet et une médaille de Juillet commémorative pour les combattants de la révolution. En avril 1831, Casimir Perier fit frapper les médailles commémoratives portant la mention « donné par le roi ». La remise de la Croix de Juillet était, elle, accompagnée d'un serment de fidélité à Louis-Philippe. Les insurgés y étaient présentés comme des défenseurs de la patrie. Quant à leur panthéonisation annoncée en juillet 1831, elle fut vite oubliée. En revanche, il se développa un culte populaire (en grande partie ouvrier) et séditieux des morts de Juillet[30].
- En octobre 1830, le gouvernement présenta en outre un projet de loi destiné à indemniser à concurrence de 7 millions les victimes des journées de Juillet[N 37].
- L'expression Trois Glorieuses fut pastichée par Jean Fourastié pour désigner la période d’expansion économique de trente années allant de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au choc pétrolier lié à la guerre du Kippour : les Trente Glorieuses.
- Quelques odonymes contenant la date du Vingt-Neuf-Juillet, dont un à Paris dans le Ier arrondissement, rappellent le moment culminant des Trois Glorieuses.
Notes et références |
Notes |
Bernard Sarrans, aide de camp de La Fayette à l'époque, avance le chiffre de 6 000 victimes chez les insurgés, dont 1 000 à 1 200 tués tandis que, selon lui, les pertes des troupes royales n'ont pu être déterminées (Bernard Sarrans le Jeune, Lafayette et la révolution de 1830, histoire des choses et des hommes de juillet, Paris, Thoisnier Desplaces, 1832, 2 vol., in-8).
Il n’y est pas juridiquement obligé par la Charte de 1814, selon laquelle le ministère ne procède que du roi, et non du parlement.
Poursuivi, Bertin est condamné par le tribunal correctionnel mais acquitté en appel. Le jeune duc de Chartres se montre à son procès, ce qui lui est vivement reproché par Charles X lors d’une explication orageuse au palais des Tuileries.
Il prétend que la Vierge Marie lui apparaît pour lui donner des conseils politiques.
Montbel est un ultra qui a soutenu Villèle mais qui montrera son esprit de modération en refusant de suspendre les cours de François Guizot et de Victor Cousin.
D'après les données sur les inondations de Champion Inondations en France et les séries d'Arago et Renou cités dans Histoire humaine et comparé du climat d'Emmanuel Le Roy Ladurie.
« Pairs de France, députés des départements, je ne doute pas de votre concours pour opérer le bien que je veux faire. Vous repousserez avec mépris les perfides insinuations que la malveillance cherche à propager. Si de coupables manœuvres suscitaient à mon gouvernement des obstacles que je ne peux prévoir ici, que je ne veux pas prévoir, je trouverais la force de les surmonter dans ma résolution de maintenir la paix publique, dans la juste confiance des Français et dans l’amour qu’ils ont toujours montré pour leur roi. » L’allusion à la « résolution de maintenir la paix publique » renvoie à l’article 14 de la Charte de 1814 selon lequel : « Le roi […] fait les règlements et ordonnances nécessaires pour l’exécution des lois et la sûreté de l’État. » (c’est nous qui soulignons) Charles X appuya de la voix et du geste les mots « je ne doute pas de votre concours » et « que je ne veux pas prévoir », ce qui fit rouler son chapeau au pied du trône, où se tenait le duc d’Orléans, qui ramassa le couvre-chef et le rendit au roi avec une profonde révérence. Ultérieurement, des témoins n’ont pas manqué de souligner le caractère prémonitoire de la scène.
Trois de ces cinq députés — Royer-Collard, Perier, Sébastiani — sont des familiers du duc d’Orléans.
La manœuvre est conforme à l’article 50 de la Charte selon lequel : « Le roi convoque chaque année les deux Chambres ; il les proroge, et peut dissoudre celle des députés des départements ; mais, dans ce cas, il doit en convoquer une nouvelle dans le délai de trois mois. » Mais c’est la première fois depuis 1814 que le roi use de cette prérogative.
La phrase est parfois attribuée aussi au dauphin.
Louis-Philippe lui aurait répondu : « Qu’il y ait un volcan, c’est possible ; je le crois comme vous, et au moins la faute n’en est pas à moi ; je n’aurai pas à me reprocher de n’avoir pas cherché à ouvrir les yeux du roi. Mais que voulez-vous ? On n’écoute rien. Dieu sait où ceci peut nous conduire ! Le monde est changé de face depuis quarante ans ; vous ne vous rendez pas assez compte de la diffusion des Lumières, conséquence du partage des fortunes. Les classes moyennes ne sont pas toute la société ; mais elles en sont la force. Leur intérêt constant est le maintien de l’ordre, et elles ont assez de puissance pour combattre et réprimer les mauvaises passions… Tout ce que veut le pays, c’est l’établissement sincère du régime constitutionnel. » (cité par Guy Antonetti, Op. cit., p. 557).
La teneur des propos du roi lors du conseil des ministres du 7 juillet est rapportée par Montbel et Guernon-Ranville.
Qui fait chanter le Te Deum dans toutes les églises de France et se rend lui-même à Notre-Dame le 11 juillet.
Polignac, qui exerçait l’intérim du ministère de la Guerre en l’absence de Bourmont, envoyé en Algérie, disposait de quelque 19 000 hommes à Paris et dans les environs, ce qui pouvait lui sembler suffisant pour réprimer une éventuelle résistance. Par ailleurs, le préfet de police, Claude Mangin, avait assuré que « quoi qu’on fît, Paris ne bougerait pas, et qu’il en répondait sur sa tête » (cité par José Cabanis, Op. cit., p. 425).
Il y a bien six ordonnances du 25 juillet 1830, mais le coup de force constitutionnel est contenu dans les quatre premières ; c’est ce qui explique qu’on évoque fréquemment, par erreur, les « quatre ordonnances de Saint-Cloud ».
Selon Bérard : « Il n’osa pas refuser son salon ; mais son embarras et sa répugnance furent visibles à tous les yeux. » (cité par Guy Antonetti, Op. cit., p. 565).
De manière paradoxale, Marmont déteste Polignac. Il est de plus humilié de n’avoir pas été choisi pour commander le corps expéditionnaire en Algérie. S’il n’a pas démissionné, c’est uniquement parce qu’il a besoin d’argent pour rembourser les dettes de son entreprise sidérurgique de Châtillon-sur-Seine, dont l’un des principaux créanciers n’est autre que… Casimir Perier !
La préfecture de police a toutefois refusé de faire exécuter les mandats décernés contre les journalistes, et Marmont ceux visant les députés.
Cité par Guy Antonetti, Op. cit., p. 571. Dans l’entourage de Louis-Philippe, certains lui conseillent en effet de se rendre auprès de Charles X pour lui prodiguer ses conseils, ce à quoi le duc d’Orléans objecte que le roi ne lui a rien demandé.
Le bâtiment se situait à l'emplacement de l’actuelle rue de Lille, entre l’Hôpital américain et Levallois-Perret.
Selon Marmont, Casimir Perier serait venu en personne, par les Boulevards, parlementer avec les officiers et haranguer les soldats des deux régiments. Selon Bérard, c’est le général Gérard qui a envoyé le colonel Heymès — qui sera nommé aide de camp de Louis-Philippe après la révolution — amener le 53e à la cause de l’insurrection.
Casimir Louis Victurnien de Rochechouart-Mortemart (1787–1875), prince de Tonnay-Charente, puis baron de Mortemart et de l’Empire, duc de Mortemart (1812 puis 1817, confirmation) et pair de France, présente l’avantage, tout en portant un grand nom de la noblesse d’Ancien régime, de s’être rallié à l’Empire (il a été officier d’ordonnance de Napoléon). Il vient de passer deux ans en Russie comme ambassadeur de France.
Rentré à Paris la veille.
Selon une autre version, cette phrase était ainsi rédigée : « Le duc d’Orléans ne se prononce pas ; il attend notre vœu ; proclamons ce vœu, et il acceptera la Charte telle que nous l’avons toujours voulue et entendue. »
Le lendemain, La Fayette confirme à Odilon Barrot qu’il se rallie à une monarchie constitutionnelle car il redoute une république jacobine qui rééditerait les heures sombres de la Terreur. Selon Bernard Sarrans, ex-aide de camp de La Fayette et auteur d'un ouvrage hagiographique intitulé Lafayette et la révolution de 1830, histoire des choses et des hommes de juillet (1832), le général prend position en faveur du duc d'Orléans pour quatre raisons : 1/ comme démocrate, il lui est difficile de ne pas reconnaître la validité du choix de députés qui viennent d'être réélus ; 2/ plusieurs départements restent favorables à la monarchie et il ne veut pas prendre le risque d'isoler l'insurrection dans Paris ; 3/ la République aurait fait courir le risque d'une nouvelle guerre venue de l'extérieur ; 4/ La Fayette a toujours affirmé ne pas vouloir du pouvoir pour lui-même.
Dans la nuit du 29, d’Argout et Vitrolles sont arrivés à Saint-Cloud à deux heures et demie du matin. Il a fallu réveiller Charles X, le convaincre de signer les ordonnances rapportant celles du 25 juillet, nommant le nouveau cabinet et reconstituant la Garde nationale de Paris.
En traversant Aubervilliers, un villageois l’interpelle : « Dites donc, vous autres, est-ce que vous allez chercher Napoléon II ? » Et Louis-Philippe, pressant le pas, lance : « J’ai toujours beaucoup aimé la cocarde tricolore… » À la sortie du village, il est reconnu par des paysans qui crient : « Vive le duc d’Orléans ! »
C’est ce qu’elle a dit, dans la matinée, au capitaine Gérard, envoyé vers dix heures par son oncle, le général, pour annoncer que les députés étaient prêts à proclamer Louis-Philippe (Guy Antonetti, Op. cit., p. 580).
Parmi lesquels : Louis Bérard, Benjamin Delessert, Mathieu Dumas, Charles Dupin, Augustin Perier, Horace Sébastiani.
À l’emplacement où, aujourd’hui, la rue Chauveau rejoint la Seine.
En 1831, Mademoiselle d’Orléans (devenue princesse d’Orléans depuis 1830) fera élever à cet emplacement un monument composé d’une grande fontaine en bronze et marbre blanc de 6 à 7 mètres de haut, portant enchâssé en son centre un boulet de canon encadré de deux inscriptions. À gauche on lit : « Le jeudi 29 juillet 1830, le boulet motif principal de ce bas-relief a été lancé dans le parc du château de Neuilly par les troupes de la Garde royale qui, repoussées de Paris, se retiraient sur le bois de Boulogne. » À droite : « Le vendredi 30 juillet de l’an 1830, c’est dans ce lieu que Louis-Philippe d’Orléans rencontra les premiers envoyés du peuple français qui vinrent lui proposer d’accepter la lieutenance générale du royaume. »
Il défendra toujours cette thèse. Cherchant à faire reconnaître la monarchie de Juillet par la cour de Saint-James, il écrira ainsi au prince Léopold de Saxe-Cobourg le 19 août 1830 : « Non, cette formidable canonnade que nous avons entendue à Neuilly pendant trois jours sur tous les ponts de Paris ne sortira jamais de mes oreilles. Mais ce que je désire que vous sachiez et que vous disiez [à la cour d’Angleterre], c’est que, pendant ces énormes scènes, le roi Charles X était à Saint-Cloud et moi à Neuilly, il ne m’a envoyé aucun message quelconque, et, en termes vulgaires, il ne m’a pas donné signe de vie. C’est au bout de ces quatre jours de silence de sa part que j’ai reçu l’appel des députés réunis spontanément et que, voyant qu’il n’y avait qu’une anarchie républicaine à attendre si je n’arrivais pas, j’ai pris mon parti et je me suis dévoué. » (cité par Guy Antonetti, Op. cit., p. 617)
Le Moniteur du 2 août a publié la formule : « Une Charte sera désormais une vérité. » avant de publier, le 3 août, un rectificatif donnant la version « La Charte ». Louis-Philippe et Guizot ont toujours soutenu que cette seconde version était la bonne, tandis que d’autres, comme Bérard, ont affirmé le contraire. Derrière cette querelle se dessine un débat entre ceux qui considéraient que la révolution serait soldée par un simple changement de dynastie, et ceux qui estimaient nécessaire une révision constitutionnelle de plus ou moins grande ampleur. C’est ce dernier parti qui sera retenu (V. Charte de 1830).
Approché par Rémusat le 30 juillet, La Fayette a ensuite conféré avec Odilon Barrot, qui lui a recommandé de soutenir le duc d’Orléans. Ce dernier lui a envoyé en émissaires les généraux Gérard et Dumas. Enfin, le 31 juillet au matin, le ministre des États-Unis à Paris, William Cabell Rives, l’a assuré que son ralliement au duc d’Orléans serait vu d’un bon œil par la république américaine.
La Fayette a en effet reçu une balle dans la cuisse à la bataille de Brandywine le 11 octobre 1777.
Il s’est autoproclamé « général en chef » de l’insurrection populaire et parade affublé d’un uniforme de fantaisie, prêté par les magasins de l’Opéra-Comique qui l’employaient dans l’opéra de Boieldieu Aline, reine de Golconde.
500 orphelins, 500 veuves, 3 850 blessés.
Références |
Auguste Lorieux, Histoire du règne et de la chute de Charles X, 1834, p. 141.
Jean-Claude Caron, La France de 1815 à 1848, Cursus Armand Collin, 2013, lire en ligne sur Google Livres.
Journal des débats, 14 août 1829. Le rédacteur de l'article était un jeune journaliste, Saint-Marc Girardin, futur ministre de l'Instruction publique en 1848.
Cité par Guy Antonetti, Op. cit., p. 553.
Ibidem. Thiers reprend cette idée dans le manifeste du 26 juillet 1830 (V. infra).
Cité par Guy Antonetti, Op. cit., p. 557.
Cité par Guy Antonetti, Op. cit., p. 563.
Colling 1949, p. 211.
Relation historique des journées mémorables des 27, 28, 29 juillet 1830, Aristide Michel Perrot, p. 33, 1830, [1].
Patrice Alfred Armand de Wall (16 avril 1807-21 octobre 1884 au château de Colombier à Bligny-sur-Ouche fils de Ulrich de Wall (20 août 1768 au château de Sainte-Sabine(21)-10 juin 1838 à Paris et de Antoinette de Barbarat de Mazirot
M L Rozet Chronique de juillet 1830
David H. Pinkney, The French Revolution of 1830, 1972 ; trad. française : La Révolution de 1830 en France, Paris, Presses universitaires de France, 1988 (ISBN 2-13-040275-5).
Jean Tulard, Les Révolutions de 1789 à 1851 (tome IV de l’Histoire de France sous la direction de Jean Favier), Paris, Fayard, 1985 (ISBN 2-213-01574-0).
Eusèbe Girault de Saint-Fargeau, Les 48 quartiers de Paris, page 196.
Cité par Georges Lacour-Gayet, Talleyrand, 1928-1931, rééd. Paris Payot, 1990, p. 1 070.
aux Gobelins, faubourg Saint-Marceau, pont suspendu de la Grève
Cité par Guy Antonetti, Op. cit., p. 570.
Cité par Guy Antonetti, Op. cit., p. 571.
Cité par Guy Antonetti, Op. cit., p. 578.
Cité par Guy Antonetti, Op. cit., p. 581.
ibidem.
Alfred-Auguste Cuvillier-Fleury, Journal intime, Paris, Plon, tome I, p. 220.
Cuvillier-Fleury, I, p. 216.
Cité par Guy Antonetti, Op. cit., p. 582.
Cité par Guy Antonetti, Op. cit., p. 584.
Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, XXXIII, 15 ; Paris, éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1951, tome II, p. 437.
Cité par Guy Antonetti, Op. cit., p. 593.
Victor Hugo, Choses vues 1847-1848, Paris, Gallimard, 1972, 505 p. (ISBN 2-07-036047-4), p. 248.
Emmanuel Fureix, La France des larmes, Champ Vallon, 2009, p. 295.
Emmanuel Fureix, La France des larmes, Champ Vallon, 2009, pp. 300-301.
Annexes |
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Sources primaires |
Edmond Marc, Mes Journées de Juillet de 1830, Paris, Éditions de la Vraie France, 1930Journal inédit publié avec une introduction et des notes par Charles-Alexandre Geoffroy de Grandmaison.
Alexandre Dumas, Ma Révolution de 1830, Paris, Horizons de France, non datéExtraits des Mémoires d'Alexandre Dumas.
Bibliographie |
Maurice Agulhon, « 1830 dans l'histoire du XIXe siècle français », Romantisme, Paris, CDU-SEDES, nos 28-29 « Mille huit cent trente », 1980, p. 15-27 (lire en ligne).
Guy Antonetti, Louis-Philippe, Paris, Librairie Arthème Fayard, 2002(ISBN 2-213-59222-5).
Sylvie Aprile (dir.), Jean-Claude Caron (dir.) et Emmanuel Fureix (dir.), La liberté guidant les peuples : les révolutions de 1830 en Europe, Seyssel, Champ Vallon, coll. « Époques », 2013, 329 p. (ISBN 978-2-87673-621-4, présentation en ligne), [présentation en ligne]
José Cabanis, Charles X, roi ultra, Paris, Gallimard, 1973.
Jean-Louis de Courson, 1830 : la Révolution tricolore, 1965.
(en) David H. Pinkney, The French Revolution of 1830, Princeton (New Jersey), Princeton University Press, 1972, X-397 p. (présentation en ligne)Traduction française : David H. Pinkney (trad. Guillaume de Bertier de Sauvigny), La Révolution de 1830 en France, Paris, Presses universitaires de France, coll. « L'Historien », 1988, 463 p. (ISBN 2-13-040275-5).
Emmanuel de Waresquiel et Benoît Yvert, Histoire de la Restauration (1814-1830), Paris, Perrin, 2002(ISBN 2-262-01901-0).- Bernard Sarrans, Lafayette et la Révolution de 1830, histoire des choses et des hommes de Juillet, Paris, Librairie de Thoisnier Desplaces, 1833, 2e éd.
Jean-Louis Bory, La Révolution de Juillet : 29 juillet 1830, Paris, Gallimard, coll. « Trente journées qui ont fait la France » (no 23), 1972, 737 p. (ISBN 2-07-028077-2).
Gabriel de Broglie, La monarchie de Juillet, Librairie Arthème Fayard, 2011, 464 p. (ISBN 9782213662503).
Jean-Pierre Chaline, Dominique Barjot et André Encrevé, La France au XIXe siècle 1814-1914, PUF, 1995(ISBN 978-2-13-056787-5).
(de) Julia A. Schmidt-Funke, "Die 1830er Revolution als europäisches Medienereignis", Mayence, Institute of European History, 2011, consulté le 21 février 2013.
Jeanne Gilmore (trad. Jean-Baptiste Duroselle et France Cottin), La République clandestine (1818-1848), Aubier, coll. « Aubier histoires », 1997, 452 p. (ISBN 2-7007-2281-7).
Alfred Colling, La Prodigieuse Histoire de la Bourse, 1949.
Articles connexes |
- Révolution belge
- Révolte des canuts
- Insurrection de novembre 1830
Liens externes |
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